Le vît est obtus. Ce que les porn studies font aux sciences sociales. À propos de Florian Vörös (ed.), Cultures pornographiques. Anthologie des porn studies, Paris, Éditions Amsterdam, 2015. Les porn studies n’ont pas surgi dans un complet désert bibliographique. Les études historiques, sociologiques et anthropologiques sur la sexualité sont nombreuses depuis les travaux pionniers de Margaret Mead sur les Samoans. Même si l’histoire de la sexualité s’est longtemps confondue avec une histoire de la reproduction, les approches culturalistes ont permis de dépoussiérer la chose et de donner une épaisseur toute somatique aux tremblements érotiques de la chair. De Foucault à Lacqueur, le croisement des pratiques sexuelles et des investissements politiques n’a cessé d’interroger. La pornographie (et les études qui en cernent les productions et les manifestations) est en effet par son objet même (les sexualités présentées dans une obscénité plus ou moins travaillée) soumis à un régime de haute tension morale.
La pornographie a pleine main. La force de l’astrologie. Livre recensé : Arnaud Esquerre, Prédire. L’astrologie au XXIe siècle en France, Paris, Fayard, « Histoire de la pensée », 2013, 288 p. Comment expliquer le recours à des personnages médiateurs, religieux ou non, à des voyants, des astrologues, à la sorcellerie dans les sociétés urbaines contemporaines ? De nombreux anthropologues se sont penchés sur cette question.
Certains mettent en avant le lien entre sorcellerie et politique, maintien du pouvoir [1]. D’autres interprétations considèrent ces pratiques comme l’arme des plus faibles et des laissés pour compte de la globalisation [2] ou encore, dans des contextes où les pratiques religieuses étaient strictement contrôlées (comme c’était le cas dans l’ex-URSS), comme l’expression d’une identité réaffirmée [3] . « Pourquoi de nombreuses personnes ont-elles recours à l’astrologie au début du XXIe siècle en France ? » (p. 9) « À quelles conditions une pratique astrologique est-elle réussie pour ceux qui y ont recours ? Être astrologue A.
A. Ferguson et la nouvelle condition noire aux États-Unis. Les émeutes de Ferguson sont inédites depuis celles de Los Angeles en 1992. Elles marquent la rupture de la paix raciale la plus durable depuis la seconde guerre mondiale aux États-Unis, et révèlent la transformation de la condition des populations noires depuis une dizaine d’années. D’un côté, les années 2000-2010 sont l’apogée du processus de pénalisation et de contrôle policier de la vie des Noirs. De l’autre, la décennie passée témoigne d’une stagnation, voire d’un recul, de la position des Noirs dans la société américaine. Contre le mythe de la société post-raciale, la place des Noirs se caractérise par une inégalité durable, dont les ressorts se sont transformés. Le cas de Michael Brown, un adolescent noir, désarmé et abattu de six balles par un policier blanc à Ferguson (Missouri) n’est pas isolé. Des scandales similaires ont eu lieu au cours des vingt dernières années.
L’État carcéral contre les Noirs L’anticipation statistique du crime Un apaisement trompeur [1] Jacobs, D. & R.M. L’étendard de la lutte. Recensé : Philippe Artières, La banderole, histoire d’un objet politique, Paris, éditions Autrement, 2013. 160 p., 15 €. Philippe Artières, spécialiste de l’histoire de l’écriture contemporaine, étudie ici l’évolution des rôles et des formes de la banderole au sein des luttes politiques du XXe et du XXIe siècle. Il inaugure ainsi la nouvelle collection des éditions Autrement, « Leçons de choses », dont l’ambition est de proposer un aperçu de l’histoire de nos sociétés par le biais d’une histoire « infra-ordinaire » des objets.
Démarche et méthode : un objet ordinaire au service de l’Histoire incarnée La démarche de l’auteur prolonge la réflexion de Georges Perec autour de la notion d’ « infra-ordinaire » : il s’agit, via l’analyse des usages sociaux d’un objet familier, d’étudier les mécanismes et la signification de certains phénomènes socio-historiques. Cette histoire « incarnée » s’accompagne d’un style d’écriture fragmentaire, essayiste. Le temps des « prépas » Recensé : Muriel Darmon, Classes préparatoires. La fabrique d’une jeunesse dominante, Paris, La Découverte, 2013. 280 p., 24 €.
Le dernier livre de Muriel Darmon vient opportunément combler un vide. Louées pour leurs succès prétendus, accusées de pratiquer les pires formes de « gavage » scolaire ou critiquées en raison de la clôture sociale qui les caractérise indéniablement [1], les classes préparatoires aux grandes écoles n’ont en effet guère été étudiées pour elles-mêmes, et notamment pour ce qu’elles font à ceux et celles qui les fréquentent.
Socialisation et domination Cette inattention à ce qui se joue au sommet de la hiérarchie scolaire est d’autant plus dommageable que, malgré l’accueil d’une faible proportion des jeunes fréquentant l’enseignement supérieur [2], les « prépas » continuent de jouer un rôle décisif dans la (re)production des classes dominantes en France, indissociablement comme instrument de légitimation et instance de socialisation. Une « institution enveloppante » L’opinion publique et ses élites. Recensé : Ferdinand Tönnies, Critique de l’opinion publique, traduit de l’allemand par Pierre Osmo, Gallimard, Paris, 2012. 784 p., 36, 90 €. La réception française de l’œuvre de Ferdinand Tönnies (1855-1936), considéré outre-Rhin comme l’un des « pères fondateurs de la sociologie » (avec Georg Simmel et Max Weber, qui lui doivent nombre de problématiques et d’intuitions), a été assez sinueuse.
Plus vite traduit et introduit en France que Weber [1], il est ensuite tombé dans un oubli et un discrédit presque complet. Mais il connaît actuellement une sorte de seconde naissance : Communauté et société, son ouvrage majeur de 1887, a été retraduit en 2010 [2], et dans la foulée viennent d’être publiées sa monographie sur Marx [3] (1921) ainsi qu’une monumentale Critique de l’opinion publique (1922). Actualité de Communauté et société Il faut reconnaître que la pensée de Tönnies, même si son style a mal vieilli, est toujours actuelle. Limites et mérites de Critique de l’opinion publique.
L’État chinois en action. L’opposition de la communauté internationale à la politique de l’enfant unique en Chine s’intensifia sous l’impulsion des conservateurs américains. Or ce serait un contresens que d’analyser la plus célèbre des réformes chinoises comme une manœuvre de coercition publique : lorsque les dirigeants chinois cessèrent d’instrumentaliser le taux de fécondité du pays, la population leur emboîta le pas. Recensé : Susan Greenhalgh, Cultivating Global Citizens : Population in the Rise of China, Cambridge MA, Harvard University Press, 2010, 156p., 27, 90€. Greenhalgh présente son livre comme une ethnographie de l’État chinois, et plus spécifiquement de son programme de gestion de la population.
Grâce à un travail anthropologique inédit, l’auteur analyse ce chantier politique complexe à la lumière des objectifs du gouvernement, ainsi que des normes et des croyances en vigueur sur le véritable rôle de la gouvernance et les moyens de la mettre en œuvre. L’ouvrage comporte trois chapitres. Nommer la caste. N.B. Les termes de langues indiennes (Sanskrit et Tamoul) ont été volontairement transcrits dans la forme romanisée la plus courante, sans diacritiques et sans pluriels. D’autre part, le terme caste est placé entre guillemets lorsque son sens et/ou son usage spécifique n’est pas précisé. « Quelle est votre caste ? » Cette question a été posée par quelque deux millions et demi d’agents contractuels du gouvernement indien aux 24 millions de foyers qu’ils ont été amenés à visiter durant un nouvel exercice censitaire, « le recensement socio-économique des castes » (SECC).
Comme en témoignent ces prises de positions diamétralement opposées, la « caste » demeure une catégorie centrale des préoccupations quotidiennes de la majeure partie de la population indienne. Dans la peau d’un enquêteur du recensement indien Nous nous proposons donc d’appréhender ce que signifie aujourd’hui appartenir à un ordre social dont de nombreux aspects sont informés par la « caste ». Les infortunes de l’amour. Recensé : Eva Illouz, Pourquoi l’amour fait mal. L’expérience amoureuse dans la modernité, Paris, Seuil, 2012. 400 p., 24 €. « La souffrance amoureuse dont font l’expérience [Catherine Ernshaw et Emma Bovary] a changé de teneur, de couleur, de texture ». Pour Eva Illouz, l’amour de Catherine Earnshaw pour Heathcliff, le désespoir d’Emma Bovary quand elle reçoit la lettre de Rodolphe Boulanger rompant la promesse de leur fuite après leur longue histoire d’amour clandestin, illustrent l’évocation littéraire de la douleur amoureuse.
Pourtant, elles ne correspondent plus à nos amours modernes. Qu’est-ce qui a changé ? Il ne s’agit pas de dire que le malheur amoureux est inédit, mais que les manières de choisir notre partenaire et les manières de vivre l’expérience du désamour ne sont plus les mêmes. Cela est dû à trois raisons principales. L’amour comme marchandise Peut-on alors identifier les acteurs du désamour ? Suis-je aimée ? La rationalisation de l’hétérosexualité.