« Colbert n’est pas l’auteur principal du Code noir, ni le maître-penseur de l’esclavage français »
Tribune. Au moment où les statues de commerçants d’esclaves tombent à Bristol (Royaume-Uni), il est difficile de ne pas ressentir des frissons d’émotion devant une justice en retard de presque trois cents ans. Comment se fait-il que l’on ait pu vivre à l’ombre de ces monuments de l’horreur de l’esclavage parmi nous sans agir, sans réaction populaire depuis tant de siècles ? Dans la foulée, pour les mêmes raisons, certains appellent maintenant au démantèlement des statues du grand ministre de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert (1619-1683). Colbert, synonyme du Grand Siècle de la science, de l’art, et de l’érudition, maître policier et espion, père de la marine française et du ministère des affaires étrangères, créateur de Versailles, ennemi d’une noblesse libre, fondateur des Compagnies du Sénégal, des Indes et du Nord, et donc oui, l’homme qui a fait l’expansion du système colonial français et de sa mécanique mortelle, violente : l’esclavage.
Racisme et statues déboulonnées, Jacqueline Lalouette réagit
Jacqueline Lalouette est professeure émérite (Université de Lille) et membre honoraire de l'Institut universitaire de France (IUF). Elle est une historienne spécialiste, notamment, de la libre-pensée, de la laïcité et de l'anticléricalisme aux XIXᵉ et XXᵉ siècles. En 2018, Jacqueline Lalouette a publié " Un peuple de statues. La célébration sculptée des grands hommes. France 1801-2018 ", Mare & Martin (605 p., 270 photographies). Dans cette série consacrée au déboulonnement des statues, retrouvez aussi le témoignage de François-Xavier Fauvelle : ""Etre Français, c'est aussi être descendant d'esclaves".
Déboulonnage des statues : « L’anachronisme est un péché contre l’intelligence du passé »
La fièvre iconoclaste qui s’est emparée d’un certain nombre de groupes épris de passion justicière, projetant de déboulonner les statues de certaines figures historiques, de débaptiser des lieux publics, de changer le nom de rues et d’établissements scolaires, a paru d’abord dérisoire. Mais sa contagion serait un danger pour les principes républicains. Que la chute d’une dictature appelle un peuple à renverser spontanément et à effacer les représentations des tyrans : on fait plus que le comprendre, on a pu en être joyeux, souvent, on espère pouvoir l’être encore demain, tout autour de la Terre. En revanche, en démocratie, pareille initiative revient aux élus du peuple, quel que soit le niveau de leur responsabilité. Lire aussi La statue de Colbert vandalisée devant l’Assemblée nationale Dans tous les cas, il appartient aux élus et aux gouvernants qui sont responsables devant l’opinion de prendre garde à une idée simple.
Faut-il déboulonner les statues liées au racisme ?
► Ce qui est frappant, ici, c’est l’ampleur de la contestation Jacqueline Lalouette, historienne, auteure d’Un peuple de statues. La célébration sculptée des grands hommes (Mare & Martin, 2018). Le déboulonnage actuel des statues de personnages liés à l’esclavage et à la colonisation renvoie en réalité à un comportement très ancien. On pense aux guerres de religion, à la Révolution française, ou au XIXe siècle riche en changements de régimes, au cours duquel les représentations liées au régime précédent étaient rapidement mises à bas.
Zeev Sternhell, historien du fascisme et militant pour la paix, est mort
Enfant, Zeev Sternhell a été confronté au stalinisme puis au nazisme. Né le 10 avril 1935 à Przemysl (Pologne) dans une famille juive bourgeoise, non observante et sioniste, il voit l'URSS occuper sa région après l'invasion germano-soviétique de la Pologne en 1939. Mais la rupture du pacte entre Hitler et Staline, deux ans plus tard, voit un autre occupant prendre possession des lieux, comme il l'avait raconté au quotidien israélien Haaretz à l'occasion de la réception du Prix Israël 2008 pour ses travaux en Histoire et Science politique :
TRIBUNE. G. Mazeau et M. Larrère - Déboulonnages : l’histoire et l’espace public en partage
« La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n’oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statue » : alors qu’un puissant mouvement contre le racisme et les violences policières se lève dans le monde depuis l’assassinat de George Floyd, Emmanuel Macron choisit, droit dans ses bottes, de s’exprimer sur les statues déboulonnées. En quelques jours, les images des manifestants en colère renversant les monuments associés au racisme et à la colonisation se sont en effet diffusées dans le monde entier.
Angoulême: une ville dans le déni de son passé esclavagiste et colonial
Sur son éperon rocheux qui domine la vallée de la Charente, Angoulême a conservé son enceinte médiévale et une partie de son château comtal. Vieux de plusieurs siècles, ses murs qui attirent chaque année un flot croissant de touristes ont résisté aux vicissitudes du temps. Ils offrent à la ville le spectacle d’une forteresse difficile à conquérir ce que ne démentent pas les historiens et certaines associations qui butent depuis des années sur la mauvaise volonté de l’équipe municipale incapable de s’ouvrir aux progrès de la recherche historique qui régulièrement apporte son lot de découvertes sur des périodes peu reluisantes de l’histoire locale. Un constat tout d’abord ! Angoulême n’est pas seulement la ville de Marguerite, sœur du roi François Ier. Elle n’est pas seulement celle de Jean-Louis Guez-de-Balzac ou du Président Armand Fallières.
Déboulonnage de statues : "la République a suffisamment de symboles forts,
Faut-il déboulonner la statue de Colbert installée devant l'Assemblée nationale, à l'instar de celle de Léopold II à Anvers, en Belgique ? Pour l'historien Frédéric Régent, si l'on veut comprendre l'esclavage, il ne faut pas occulter ce pan de l'histoire. Les récentes manifestations contre le racisme et la destruction de statues de personnages liés à l'histoire de l'esclavage, comme à Bristol le 8 juin dernier, ont relancé le débat sur les traces de l'histoire coloniale dans les pays qui ont participé à la traite négrière. Des rues, des établissements, des lieux portent le nom de personnalités de l'Histoire qui ont permis l'esclavage. Parmi elles, Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des finances sous Louis XIV et auteur du Code noir, un ensemble de textes juridiques qui régissait l'esclavage dans les colonies françaises. Rien qu'à Paris, quatre voies publiques portent son nom, ainsi qu'un lycée et une école privée.
Pierre Vidal-Naquet : itinéraire d’un historien engagé
Pierre Vidal-Naquet, est né en 1930 et mort en 2006. En mai 1944, à l’âge de quatorze ans, il voit disparaître à jamais ses parents, déportés par la Gestapo vers Auschwitz. Dans son ouvrage « Pierre Vidal-Naquet, une vie » François Dosse considère cet épisode comme l’évènement fondateur de sa vie.