Benoît Coquard, sociologue : « Dans certains milieux ruraux, la culture anti-études reste très forte » Les jeunes des territoires ruraux en déclin, tel est le sujet d’études de Benoit Coquard, sociologue à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et auteur de l’ouvrage Ceux qui restent (La Découverte, 2019). Au cours de longues enquêtes dans le Nord et l’Est de la France, il a analysé les aspirations d’une certaine jeunesse, pour qui reconnaissance sociale et valorisation de soi passent par d’autres voies que les études supérieures. Et pour qui faire des études, c’est avant tout quitter sa ville ou son village, opter pour un choix à l’issue incertaine, souvent non approuvé par l’entourage, et par ailleurs en inadéquation avec les besoins du marché de l’emploi local. Comme le montre Benoît Coquard, « ceux qui restent » valorisent avant tout la solidarité territoriale et amicale face aux difficultés. Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser aux orientations scolaires des jeunes, et notamment aux différences entre femmes et hommes, dans les campagnes en déclin ?
=> La remise en cause du mythe méritocratique aux Etats-Unis... Ce plancher de verre qui protège de plus en plus les enfants des plus riches des conséquences de leur manque de talents ou d’efforts Atlantico : Richard Reeves, chercheur américain à la Brookings Institution, a étudié la mobilité sociale descendante aux Etats-Unis et a montré que la probabilité que le statut social d'une personne plutôt riche soit transmis à ses enfants est supérieure depuis peu à la même probabilité pour une personne pauvre. Richard Reeves appelle ce concept le plancher de verre. D'où vient ce plancher de verre aux Etats-Unis ? Comment est-il devenu un élément du débat américain sur les inégalités ? Joël Hellier : Le plancher de verre est pour la partie supérieure de l’échelle sociale ce qu’est le plafond de verre pour sa partie inférieure. Le problème central consiste donc à comparer la mobilité en haut de l’échelle sociale à la mobilité en bas de l’échelle sociale. L’immobilité en haut de l’échelle sociale est encouragée par plusieurs évolutions qui sont particulièrement prégnantes aux Etats Unis. Premier facteur : les inégalités de richesses et de revenus. Qu'en est-il en France ?
Comment l’élitisme social est maquillé en élitisme républicain Notre école fonctionne plutôt bien pour 70 à 75 % des élèves. La moitié des élèves âgés de 15 ans comptent même parmi les meilleurs élèves du monde selon les évaluations internationales Pisa [1] de l’OCDE. Il faut s’en réjouir. Certes, aujourd’hui, 44 % des sortants du système éducatif ont un diplôme de l’enseignement supérieur, soit deux fois plus que la génération qui vient de prendre sa retraite. Une école qui procède par élimination En France, qui prétend être le pays du « vivre ensemble », on ne scolarise pas ensemble. Pourquoi est-ce si difficile en France de bâtir un système éducatif qui soit organisé pour que tous les enfants réussissent et qui ne soit pas essentiellement concentré sur la sélection des meilleurs ? Indispensable mixité sociale Solidarité en direction des plus démunis Les choix budgétaires sont historiquement peu favorables aux élèves en difficulté. Une pédagogie centrée sur la réussite de tous Le temps de la scolarité obligatoire est le temps du commun. Commander
Les enfants d'immigrés à l'école : entretien avec Mathieu Ichou Mathieu Ichou est chargé de recherche à l'Institut national d'études démographiques (Ined) ainsi que chercheur associé à l'Observatoire Sociologique du Changement (OSC) de Sciences Po. Ses recherches portent notamment sur la sociologie de l'immigration, de l'éducation et de la stratification sociale. Son dernier ouvrage, Les enfants d'immigrés à l'école. Inégalités scolaires, du primaire à l'enseignement supérieur, publié en 2018, s'intéresse aux trajectoires scolaires d'élèves issus de l'immigration. La question de la réussite ou de l'échec scolaire des élèves issus de l'immigration est débattue depuis longtemps dans la recherche sociologique française. L'idée dominante, à la fois dans le discours public et dans un certain nombre de recherches scientifiques, est celle de l'échec scolaire des enfants d'immigrés. Deuxièmement, il faut dépasser l'étude de la réussite moyenne des enfants d'immigrés pour prendre en compte la grande diversité de situations. Caille J.
Michael Sandel et les perdants de la méritocratie Riches, diplômés, perdants du système, nous mériterions notre sort...Telle est "La tyrannie du mérite" (Albin Michel, 2021) que dénonce Michael J.Sandel, professeur en philosophie politique à Harvard. Michael J. Sandel est professeur de philosophie politique à Harvard University Law School et membre de l’American Academy of Arts and Sciences. Il est notamment connu pour son best seller Justice, dans lequel il développe une critique du libéralisme. Il anime sur la BBC une série de débats, « The Global Philosopher », qui abordent, avec des participants issus de pays différents, des questions éthiques soulevées par l'actualité. Ce contre quoi je m'élève, c'est une notion enflée de ce que nous méritons. Paraît La Tyrannie du mérite (Albin Michel, 2021), une traduction par Astrid von Busekist de son livre The Tyranny of Merit: What's Become of the Common Good ? C'est l'âge de la méritocratie qui a fait de l'éducation supérieure l'arbitre de l’opportunité.
Jonathan Hude-Dufossé : "Le problème du mérite, c'est qu'on l'utilise comme une arme contre les miens" Issu d'une famille pauvre du bassin minier, à Douvrin dans le Pas-de-Calais, Jonathan Hude-Dufossé a rêvé très tôt d'une autre vie. Au point de rejeter son milieu d'origine pendant des années, avant de se réconcilier avec son histoire. C'est l'histoire d'un garçon qui s'est juré d'aller loin, quitte à fuir son milieu et couper les ponts. Depuis une dizaine d'années, Jonathan Hude-Dufossé se bat contre les inégalités et les discriminations et en a même fait son métier. Ses mots J'avais intégré que la classe populaire, d'un point de vue culturel et social, était moins bien que les milieux plus favorisés. Est-ce qu'on peut se contenter, dans la sixième puissance du monde, de se dire que l'orientation des jeunes repose sur une rencontre éventuelle ? C'est une belle histoire mais je n'ai absolument rien fait. (...) Sa chanson de galère Creep de Radiohead Le message vocal Vannina Bernard-Leoni, sa professeure d'italien au lycée. L'archive Pour aller plus loin
« La croyance selon laquelle le mérite détermine la réussite est fausse » Tribune. Ouvrant une séquence visiblement destinée à rééquilibrer l’axe politique du quinquennat de droite à gauche, le président de la République, Emmanuel Macron, a multiplié les annonces liées à l’égalité des chances : le 11 février, un millier de places supplémentaires créées dans des « Prépas Talents » et des parcours spécifiques dans certaines grandes écoles, le 12 février lancement d’une plate-forme « anti-discriminations », le 1er mars un programme d’incitation au mentorat. L’intention, à l’évidence, est louable. Oui, il faut permettre à chacun de ne pas être assigné au milieu social dans lequel il est né. Oui, il est absolument nécessaire de redémarrer l’ascenseur social qui, dans notre pays, est en panne depuis des années. Les chiffres sont éloquents. A l’inverse, les étudiants issus des catégories défavorisées ne représentent que 9 % des effectifs. Ainsi, dans le même rapport, on découvre que les chiffres n’ont que très peu varié depuis vingt ans. « Rien ne m’a été donné.
L’égalité scolaire, un enjeu de survie pour la démocratie Le long mouvement de massification scolaire enclenché dans notre pays depuis les années 1960 était censé accroître l’attachement aux valeurs démocratiques. Dans la mesure où l’éducation scolaire est imprégnée des valeurs de l’égalité et de la tolérance, et véhicule la croyance dans les vertus de la science et de la raison, le fait qu’une majorité de jeunes bénéficie aujourd’hui d’une scolarité longue – la proportion de bacheliers atteignait 80 % d’une génération en 2019 – ne pouvait a priori que renforcer la confiance dans la démocratie. Or, force est de constater que, en France et dans d’autres pays comparables, cette promesse optimiste n’a pas été totalement tenue. Si les acquis de la science sont plus largement diffusés, les jeunes gardent-ils pour autant le recul nécessaire par rapport aux fake news qui circulent toujours plus vite ? Croyances et esprit critique Valeurs et effets de diplôme Read more: L’école française, championne des inégalités sociales ?
=>Des données comparatives sur la mobilité sociale... « Le mérite est un mode de justification des inégalités très commode », selon la sociologue Annabelle Allouch En pleine écriture de Mérite, son essai paru le 2 septembre aux éditions Anamosa, Annabelle Allouch, maîtresse de conférence en sociologie à l’université de Picardie, a perdu son père malade d’un cancer. L’homme, immigré marocain, storiste de profession, croyait dur comme fer au travail et au mérite. « Il pensait qu’en redoublant d’efforts, il serait forcément récompensé », raconte-t-elle alors, au début de son second chapitre. Dans l’écho de cette histoire familiale, on lit la singularité du projet de cet essai : étudier non pas l’effectivité de l’idéal méritocratique, mais sa charge émotionnelle et la force des croyances qui l’entoure. Cette notion est plus que jamais visible, au centre de plusieurs publications ces derniers mois, comme La Tyrannie du mérite (Albin Michel), de Michael Sandel, ou Héritocratie : les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite. 1870-2020 (La Découverte), de Paul Pasquali. Ce concept serait, pour vous, une manière de justifier les inégalités.
L’école française, démocratique ou élitiste ? La rentrée scolaire 2015 a fait l’objet de polémiques centrées sur l’inégalité de l’école française. Le débat est aussi présent parmi les chercheurs : l’école française se démocratise-t-elle ou les logiques de reproduction sont-elles dominantes ? L’une et l’autre se combinent-elles ? Un bilan est-il possible ? Pour répondre à ces interrogations, les sociologues ont décliné le concept de démocratisation de l’enseignement de différentes façons : démocratisation quantitative, qualitative, uniforme, ségrégative… Autant de notions essentielles à la compréhension des transformations actuelles de l’école française. Les démocratisations quantitative et qualitative de l’enseignement Au milieu des années 1980, A. La « démocratisation qualitative » est la seconde notion présentée par Prost. Les démocratisations uniforme, égalisatrice et ségrégative Les limites des notions proposées par Prost ont favorisé de nouvelles recherches. La démocratisation ségrégative de l’enseignement supérieur Conclusion
L’école, républicaine ou utilitariste ? Au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle, deux grands projets d’institution scolaire furent développés : en France, celui de Condorcet, dont la formulation la plus marquante se trouve dans ses Mémoires sur l’instruction publique (1791) ; en Angleterre, celui de Bentham, exposé dans la Chrestomathia (1816). Au premier abord, ces deux projets sont si différents que l’on voit mal comment il serait possible d’en proposer une analyse comparée : en un mot (nous y reviendrons), Condorcet propose une institution républicaine ayant à sa charge l’instruction morale du citoyen, tandis que l’institution de Bentham poursuit une finalité plus utilitariste pouvant être ramenée à la volonté d’assurer l’accès au bonheur au plus grand nombre. Dans Créer l’école, Alain Fernex nous propose pourtant un point de vue qui autorise la démarche comparative. Condorcet face à Bentham L’importance de l’enseignement technique Éducation et autonomie Pour citer cet article : Nota bene :