Jean-Claude Michéa : « Ceux d’en bas apparaissent de moins en moins sensibles à l’alternance unique » – Le Comptoir Le Comptoir : Les cinq dernières décennies ont été marquées en Occident par l’avènement de la société de consommation et de la culture de masse, qui ont opéré une uniformisation des modes de vie inédite. Pier Paolo Pasolini, dont vous êtes un grand lecteur, notait il y a quarante ans que les classes populaires ont été « atteintes dans le fond de leur âme, dans leurs façons d’être » et que l’âme du peuple a non seulement été « égratignée, mais encore lacérée, violée, souillée à jamais ». Peut-on encore réellement, dans ces conditions, parler de peuple et de common decency ? Jean-Claude Michéa : Il convient d’abord de rappeler que ce que vous appelez la “société de consommation” (telle qu’elle se met en place aux États-Unis au début des années 1920) trouve elle-même sa condition préalable dans la nécessité inhérente à toute économie libérale de poursuivre à l’infini le processus de mise en valeur du capital. Notes : J'aime : J'aime chargement… Sur le même thème Dans "Politique"
Jean-Claude Michéa : « La gauche doit opérer un changement complet de paradigme » – Le Comptoir Le Comptoir : La crise de la gauche appelle à s’interroger sur ses méthodes, sur sa pédagogie, sur sa capacité à rallier, donc sur les raisons de ses échecs dans un contexte qui, en théorie, devrait être propice à l’adhésion aux idées socialistes et à l’anticapitalisme. Quelles sont pour vous les raisons de cet échec ? Jean-Claude Michéa : Cette “crise de la gauche” dans un contexte économique et social qui – comme vous le rappelez – devrait être, au contraire, « propice à l’adhésion aux idées socialistes et anticapitalistes », peut effectivement paraître, à première vue, tout à fait étrange. N’est-ce pas George Orwell qui observait, en 1937, que « tout ventre vide est un argument en faveur du socialisme » ? Mais la clé du mystère se trouve, en fait, dans la remarque d’Orwell elle-même. C’est que le “socialisme” et la “gauche” relèvent en réalité, depuis l’origine, de deux histoires logiquement distinctes, et qui ne se recouvrent que partiellement. Notes : J'aime : J'aime chargement…
BALLAST Michael Löwy : « Sans révolte, la politique devient vide de sens » Entretien inédit pour le site de Ballast Réconcilier deux frères ennemis ? Fondre le meilleur de deux traditions qui, trop souvent, se sont déchirées ? C'est ce que tente, après d'autres, le livre Affinités révolutionnaires : nos étoiles rouges et noires, paru cet automne aux éditions Mille et une nuits. Vous avez évoqué une « guerre » entre deux conceptions de la politique. Il y a deux sortes de « politique » en Europe, non seulement différentes, mais antagoniques, contradictoires, irréconciliables. « Sans indignation et sans utopies, sans révolte, sans images d’un monde autre, d’une nouvelle société, plus juste et plus solidaire, la politique devient mesquine, vide de sens, creuse. » Cette politique-là règne, elle gouverne partout, elle est aux commandes, elle exerce le pouvoir d’État à l’échelle nationale et continentale. L’autre ingrédient de la politique au sens noble — c’est-à-dire, plébéien — du terme, c’est l’utopie. Rosa Luxemburg (DR) Le Che, par Elliott Erwitt (1964)
Hugo Chávez, Dieu et la révolution, par Ignacio Ramonet (Le Monde diplomatique, mars 2015) Quelle est votre conception de la révolution ? Je pense qu’une révolution doit être quelque chose de très concret. Une des erreurs qui ont été commises par le passé lors des nombreuses tentatives révolutionnaires est qu’elles se sont cantonnées à l’aspect théorique. Elles ont accordé une importance excessive à l’élaboration théorique et très peu à la dimension pratique. Certains opposants vous reprochent de vouloir construire le socialisme sans l’accord explicite du peuple. Ils essaient de confondre l’opinion publique. Pouvez-vous me rappeler quels étaient ces sept axes stratégiques ? Les sept axes stratégiques pour le Projet national Simón Bolívar et le Venezuela socialiste sont : 1. la nouvelle éthique socialiste ; 2. le bonheur social suprême ; 3. sur le plan politique, la démocratie protagoniste révolutionnaire ; 4. le modèle productif socialiste ; 5. la nouvelle géopolitique nationale ; 6. le Venezuela, puissance énergétique ; 7. la nouvelle géopolitique internationale.
Macron, l'aspiration par le vide Baptisé En marche, le "mouvement" politique d’Emmanuel Macron est d’emblée déclaré "ni de droite, ni de gauche". Pour se convaincre qu’en pareil cas, on est surtout "ni de gauche, ni de gauche", il a suffi d’apprendre que son site était hébergé par l’Institut Montaigne et qu’un cadre de Goldman Sachs était missionné pour trouver des financements, puis de constater les réactions bienveillantes de Jean-Pierre Raffarin, Nathalie Kosciusko-Morizet ou Pierre Gattaz. Le fantôme de la gauche Cette volonté de faire disparaître le "vieux clivage" [1] gauche-droite n’a rien de nouveau, et elle recèle une volonté d’abolir le débat politique en entérinant une (petite) fin de l’histoire : plus besoin de politique, l’économie impose "naturellement" un ordre de nécessité indiscutable auquel il s’agit de s’adapter [2]. Tout récalcitrant n’a tout simplement pas pris la mesure de cette fatalité et, de ce fait, s’oppose vainement à une "modernité" qu’il faut embrasser : c’est lui qui "bloque" la société.
« Droite/Gauche », par André Comte-Sponville • Les idées, André Comte-Sponville, Droite, Gauche, Politique Enfant, j’avais demandé à mon père ce que cela signifiait, dans la vie politique, qu’être de droite ou de gauche. « Être de droite, me répondit-il, c’est vouloir la grandeur de la France. Être de gauche, c’est vouloir le bonheur des Français. » Je ne sais si la formule était de lui. Il n’aimait pas les Français, ni les humains en général. Il me répétait toujours qu’on n’est pas sur Terre pour être heureux. La définition, dans sa bouche, était de droite. C’est pourquoi elle lui plaisait. Le temps a passé : mes enfants m’ont interrogé à leur tour… Je répondis comme je pus, autour de quelques différences qui me paraissaient essentielles. La première différence est sociologique. La deuxième différence est plutôt historique. La troisième différence est proprement politique. Quatrième différence : une différence économique. On remarquera que la droite, sur ces questions économiques et dans la dernière période, l’a clairement emporté, au moins intellectuellement.
Frédéric Lordon : « L’internationalisme réel, c’est l’organisation de la contagion » Article paru dans le n° 3 de la revue papier Ballast (novembre 2015)Le Royaume-Uni va sortir de l'Union européenne. La réaction à gauche est tiraillée entre deux sentiments. La joie, d'abord, de constater que l'alliance objective entre organisations patronales, médias dominants et partis traditionnels (le camp du "remain") soit défaite par un vote populaire massif ; le scénario se répète après le "Non" français en 2005 sur la constitution européenne et le "Oxi" grec en 2015 sur les négociations avec ses créanciers. Commençons par le statut central que vous accordez à la question de la sortie de l’euro. Aucune question n’a le privilège exclusif de « la politique », et tout est toujours matière à « refaire de la politique ». Il devrait donc aller sans dire qu’on fait, ou refait, hautement de la politique quand on s’en prend aux traités de l’euro puisqu’on tient avec eux le verrou à toute politique progressiste possible. Angela Merkel (© GETTY IMAGES) Mais le comble est ailleurs.
Tous candidats !, par Alain Garrigou (Les blogs du Diplo, 8 septembre 2016) Lire aussi Serge Halimi, « Dérangements politiques », Le Monde diplomatique, septembre 2016. Quand une « rentrée politique », comme il est désormais convenu de l’appeler, coïncide avec la campagne pour les élections primaires, il ne faut pas espérer échapper au matraquage médiatique. Peut-on en profiter pour examiner ce qui, sous l’écume des jours, petits potins et péripéties de l’actualité politique, relève de ce que les historiens appellent le « temps long » ? En politique aussi, malgré les apparences, il en est un. Face à ces primaires entamées à droite, puis à gauche, on ne sait s’il faut s’étonner de l’abondance des candidatures ou bien du fait qu’on y retrouve toujours les mêmes têtes. Signe particulièrement éclatant de cette continuité, une seule femme est candidate (Nathalie Kosciusko-Morizet), laquelle n’est même pas encore sûre de pouvoir se présenter, faute de parrainages suffisants. Inflation des candidatures, faux-semblant démocratique L’impopularité, ressort du suspense
Où va donc la colère ?, par Georges Didi-Huberman (Le Monde diplomatique, mai 2016) Il y a des « saintes colères », des colères justes. Mais comment discerner la justesse d’une colère, ou l’acte de justice qu’elle revendique ? Comment faire droit aux soulèvements et aux emportements passionnels qu’ils supposent toujours ? « Le Congrès anarchiste international se déclare en faveur du droit de révolte de la part de l’individu comme de la part de la masse entière. « Le Congrès est d’avis que les actes de révolte, surtout quand ils sont dirigés contre les représentants de l’Etat et de la ploutocratie, doivent être considérés d’un point de vue psychologique. « On pourrait dire, comme règle, que seul l’esprit le plus noble, le plus sensible et le plus délicat est sujet à de profondes impressions se manifestant par la révolte interne et externe. « Durant les périodes révolutionnaires, comme en Russie, l’acte de révolte, sans considérer son caractère psychologique, sert un double but : il mine la base même de la tyrannie et soulève l’enthousiasme des timides. (…)
Contester sans modération, par Pierre Rimbert (Le Monde diplomatique, mai 2016) Demander peu et attendre beaucoup : dix-huit ans après la création de l’association Action pour une taxe Tobin d’aide aux citoyens (Attac), en juin 1998, le prélèvement de 0,01 % à 0,1 % sur les transactions financières inspiré par l’économiste James Tobin pour « jeter du sable dans les rouages » des marchés tarde à voir le jour (lire « En attendant la taxe Tobin »). La forme édulcorée que négocient sans enthousiasme les cénacles européens rapporterait une fraction du montant (plus de 100 milliards d’euros) initialement escompté. Mais, au fait, pourquoi avoir placé la barre si bas ? Pourquoi avoir tant bataillé pour l’introduction d’une si légère friction dans la mécanique spéculative ? Le confort du regard rétrospectif et les enseignements de la grande crise de 2008 suggèrent que l’interdiction pure et simple de certains mouvements de capitaux parasitaires se justifiait tout autant. Définir ce que l’on désire vraiment Assiste-t-on à l’achèvement de ce cycle ? Espoirs de convergence
De l’art d’ignorer le peuple, par Anne-Cécile Robert (Le Monde diplomatique, octobre 2016) La gouvernance contre la démocratie La plupart des candidats à la présidentielle française proposent de réformer, d’une façon ou d’une autre, les institutions de la Ve République. Si de nombreux élus, chercheurs ou militants diagnostiquent une « crise de la démocratie », le mal pourrait se révéler plus profond : l’installation rampante d’un nouveau régime politique, la gouvernance, dont l’Europe est le laboratoire. par Anne-Cécile Robert Aperçu Par un retournement spectaculaire, dans nos démocraties modernes, ce ne sont plus les électeurs qui choisissent et orientent les élus, ce sont les dirigeants qui jugent les citoyens. On le sait : un principe à géométrie variable n’est pas un principe, c’est un préjugé. Le second sentiment dépasse le clivage de classe ; il est philosophique. Taille de l’article complet : 2 563 mots. Lycées, bibliothèques, administrations, entreprises, accédez à la base de données en ligne de tous les articles du Monde diplomatique de 1954 à nos jours. (8) Cf.
Occuper Wall Street, un mouvement tombé amoureux de lui-même, par Thomas Frank (Le Monde diplomatique, janvier 2013) Une scène me revient en mémoire à chaque fois que je tente de retrouver l’effet grisant que le mouvement Occuper Wall Street (OWS) a produit sur moi au temps où il semblait promis à un grand avenir. Je me trouvais dans le métro de Washington, en train de lire un article sur les protestataires rassemblés à Zuccotti Park, au cœur de Manhattan. C’était trois ans après la remise à flot de Wall Street ; deux ans après que toutes mes fréquentations eurent abandonné l’espoir de voir le président Barack Obama faire preuve d’audace ; deux mois après que les amis républicains des banquiers eurent conduit le pays au bord du défaut de paiement en engageant un bras de fer budgétaire avec la Maison Blanche. Comme tout le monde, j’en avais assez. Près de moi se tenait un voyageur parfaitement habillé, certainement un cadre supérieur revenant de quelque salon commercial, à en juger par le slogan folâtre imprimé sur le sac qu’il portait en bandoulière. La grande épopée fut pourtant de courte durée.
Pour un savoir engagé, par Pierre Bourdieu (Le Monde diplomatique, février 2002) Intellectuel et militant Depuis les grèves de novembre et décembre 1995 en France, les interventions de Pierre Bourdieu ont été l’objet de critiques, souvent violentes, notamment de la part des journalistes et des intellectuels médiatiques dont il avait analysé le rôle social. Ce qui semble les avoir choqués avant tout, c’est qu’un « savant » intervienne aussi activement dans le domaine « politique ». L’implication du sociologue dans l’espace public remonte néanmoins au début des années 1960, à propos de la guerre d’Algérie. Désireux de « penser la politique sans penser politiquement », Pierre Bourdieu a cherché à démontrer que, loin de s’opposer, les sciences sociales et le militantisme peuvent constituer les deux faces d’un même travail, qu’analyser et critiquer la réalité sociale permettent de contribuer à sa transformation. Maintenant, que va faire ce chercheur dans le mouvement social ? Pourquoi peut-on être optimiste ? Il faut prendre des risques.
Les électeurs sont-ils si vertueux Nos choix électoraux sont déterminés par une multitude de facteurs : notre vision du monde, notre position sociale, nos intérêts, les informations dont nous disposons, le type de contexte dans lequel nous avons été éduqués, le type de personnalités auxquelles nous faisons confiance, notre rapport aux élites politiques, nos considérations stratégiques, etc. Le résultat, c’est que nous votons tous selon des critères très différents. Y aurait-il néanmoins une manière de voter qui soit supérieure aux autres d’un point de vue éthique ? L’acte de voter ayant potentiellement un impact important sur les autres, ne sommes-nous pas tenus d’agir d’une manière qui soit justifiable devant eux ? Les personnes affectées par notre vote trouveraient-elles acceptable que nous votions sans trop y réfléchir ou de manière égocentrée ? La garantie du suffrage universel et de la liberté de vote n’est pas le fin mot de l’histoire. Un devoir d’information Un devoir de décentrement Les idées et les personnalités
"C'est parce que nous sommes dans le plein emploi que c'est la merde". by drone Apr 27