Où est l'indignité? Sur l'«appel des 80 intellectuels» contre la pensée décoloniale « Terrorisme intellectuel » apparenté à du « stalinisme », « stratégie d’entrisme », « ségrégationnisme »…: n’en jetez plus. Dans la tribune des « 80 intellectuels » contre la pensée décoloniale publiée par Le Point le 28 novembre dernier, la virulence de la vindicte n’a d’égale que l’appel à la censure. Ce n’est pas le moindre paradoxe de ce texte, qui en compte d’autres. Nombre de ces signataires ont pignon sur rue, sur journaux et sur revues. Dans ce registre, il y a plus et il y a pire. D’abord sur ce biais du raisonnement : ce n’est pas la pensée décoloniale qui est « ségrégationniste » ou « différentialiste », c’est le monde social qui l’est. En démontrant combien le racisme est tout à la fois ordinaire et structurel, le mouvement décolonial opère à son sujet un dévoilement, donne une visibilité à ce qui n’en avait pas au nom d’une bonne conscience aveuglée et d’un républicanisme abstrait. Et c’est là un autre paradoxe du texte qui nous est infligé.
140918 Peut-être devrait-on, pour commencer, bannir des programmes d’histoire toutes les leçons de morale. Ce que chacun peut penser des guerres de religion, du capitalisme, du communisme, du fascisme, des congés payés ou de la Banque centrale européenne relève du débat politique, des choix qu’un citoyen est (plus ou moins) libre de faire. En fonction de ses connaissances, de ses convictions, de ses intérêts, de ses origines, de ses aliénations. Les aventures les plus apocalyptiques ont en effet bénéficié du concours — actif ou passif — de peuples entiers. Les grands tyrans et les petits maîtres aiment réécrire le roman national afin de le voir épouser les plis de leur projet du moment. Pourtant, les extraits de manuels scolaires de divers pays publiés dans cet ouvrage le rappellent : il n’y a pas d’histoire universelle susceptible d’être récitée par tous les habitants de la Terre faisant une ronde autour du monde.
Le pouvoir et l'histoire ( par Jacques Le Goff, historien) Les sociétés humaines vivent de leur passé. Pour sauvegarder ce passé, elles ont deux instruments à leur disposition : la mémoire et l’histoire. La mémoire, où puise l’histoire qui l’alimente à son tour, ne cherche à sauver le passé que pour servir au présent et à l’avenir. L’histoire est une mise en forme tendant à la rationalité et à la vérité du passé. En Occident, elle est née dans la Grèce antique, et on lui donne Hérodote pour père. Mais elle a une seconde source, la Bible, dont un horizon est de raconter l’histoire de la création divine, son développement dans le temps. Le XIXe siècle a introduit l’histoire partout. Le pouvoir politique a été tenu à l’écart de la constitution de cette histoire et de la mémoire qui en découlait, réservée à des professionnels. Le chaotique et tragique XXe siècle vint bouleverser ces cadres de la mémoire et attaquer le monopole des historiens.
La machine à abrutir, par Pierre Jourde Jusqu’à présent, la qualité des médias audiovisuels, public et privé confondus, n’était pas vraiment un sujet. Puis le président de la République découvre que la télévision est mauvaise. Il exige de la culture. En attendant que la culture advienne, l’animateur Patrick Sabatier fait son retour sur le service public. Avec l’alibi de quelques programmes culturels ou de quelques fictions « créatrices », les défenseurs du service public le trouvaient bon. Les médias ont su donner des dimensions monstrueuses à l’universel désir de stupidité qui sommeille même au fond de l’intellectuel le plus élitiste. Lorsqu’on les attaque sur l’ineptie de leurs programmes, les marchands de vulgarité répliquent en général deux choses : primo, on ne donne au public que ce qu’il demande ; secundo, ceux qui les critiquent sont des élitistes incapables d’admettre le simple besoin de divertissement. Chacun a le droit de se détendre devant un spectacle facile. On a le choix ? Quelle liberté ?
Les élucubrations de Stéphane Bern sur l'école au Moyen Âge On connaît la propension de Stéphane Bern, dans son émission « Secrets d’histoire », à laisser libre cours à son penchant pour une histoire aristocratique, voire royaliste, centrée sur les grandes figures de l’histoire de France. Plus récemment, dans une émission sur le Paris révolutionnaire, il diffusait avec Lorànt Deutsch une vision datée et réactionnaire de cette période [1]. Le sujet choisi pour cette émission de « La fabuleuse histoire », l’école, semblait a priori moins polémique que ne peut l’être la Révolution française ou la présidence de De Gaulle. Qui a détruit l’école... ? Les approximations et erreurs factuelles sont d’autant plus frustrantes que l’émission cherche explicitement à rompre avec certains clichés. Passons rapidement sur les erreurs factuelles, même si celles-ci sont assez révélatrices. Stéphane Bern choisit de se situer sur un chantier médiéval reconstitué, au XIIIe siècle, époque marquée en effet par un dynamisme économique et intellectuel majeur. Annexe
Barbarie disent-ils… Ces assassinats médiatiques sont représentés par les organes de propagande comme des actes irrationnels d’une radicale altérité, quasiment non-humaine. Mais bien davantage, des échelles du Levant à celles de Barbarie, ces atrocités seraient inhérentes à une sphère ethnico-religieuse, l’Islam, qui malgré des nuances langagières, reste intrinsèquement dangereuse, quasi-incompréhensible et systématiquement opposée à un Occident dont, par essence et définition, les valeurs humanistes sont définitivement supérieures à toutes les autres. Dans un amalgame éhonté mais clairement assumé, les musulmans d’ici et d’ailleurs, suspectés de connivence « culturelle » avec les assassins, sont sommés par des policiers de la pensée de se désolidariser publiquement de ces crimes. Ces arguments d’une propagande essentialiste visant à diaboliser des communautés toutes entières sont odieux et totalement ineptes. Les premiers et les pires barbares sont parmi nous.
World History S'informer fatigue, par Ignacio Ramonet (Le Monde diplomatique, octobre 1993) La presse écrite est en crise. Elle connaît, en France et ailleurs, une baisse notable de sa diffusion et souffre gravement d’une perte d’identité et de personnalité. Pour quelles raisons, et comment en est-on arrivé là ? Indépendamment de l’influence certaine du contexte économique et de la récession, il faut chercher, nous semble-t-il, les causes profondes de cette crise dans la mutation qu’ont connue, au cours de ces dernières années, quelques-uns des concepts de base du journalisme. En premier lieu, l’idée même d’information. Cela a totalement changé sous l’influence de la télévison, qui occupe désormais, dans la hiérarchie des médias, une place dominante et répand son modèle. Un autre concept a changé : celui d’actualité. Le temps de l’information a également changé. Un quatrième concept s’est modifié. Dans ce bouleversement médiatique, il est de plus en plus vain de vouloir analyser la presse écrite isolée des autres moyens d’information.
Juifs et musulmans - Si loin, si proches (1/4) Où l’on retrace la naissance de l’islam et sa conquête en un siècle d’un territoire s’étendant de la Perse à l’Espagne. Quelle a été la place des millions de non-musulmans dans cet empire ? Pour les polythéistes, c’est la conversion ; pour les peuples du Livre, juifs et chrétiens, le statut de "dhimmi", qui les détermine inférieurs, mais leur confère une protection plus ou moins généreuse selon les lieux, et leur permet de pratiquer leur religion. Dès l’avènement de l’islam, le sort des musulmans et des juifs a été étroitement lié, mais un peu plus d'un siècle de conflit a suffi à occulter dans les mémoires treize siècles d’une histoire commune souvent pacifique et parfois harmonieuse. De 610 à nos jours, de l’Arabie au Proche-Orient en passant par l’Empire ottoman, l’Andalousie et le Maghreb, cette histoire complexe et méconnue est racontée chronologiquement, avec une fluidité qui n’exclut pas le sens du détail.
Informer, disaient-ils (Le Monde diplomatique, 16 octobre 2014) Lorsque, en juillet 2013, l’avion du président bolivien Evo Morales fut séquestré par les autorités européennes au prétexte de s’assurer qu’il n’emportait pas Edward Snowden comme passager clandestin, cette transgression des règles diplomatiques les plus élémentaires scandalisa les peuples d’Amérique latine. Ils y virent une marque de mépris et d’arrogance néocoloniale. En France, on évoqua à peine cette affaire. A quelques exceptions près (lire « “Moi, président de la Bolivie, séquestré en Europe” »). Quatre mois plus tard, en novembre 2013, un autre président latino américain de gauche, Rafael Correa, se rendit en visite officielle à Paris. Cette fois-ci, il ne subit aucune avanie. Comment expliquer que certains pays étrangers servent si volontiers de modèles à la presse française (Allemagne, Royaume-Uni, Irlande) alors que d’autres sont systématiquement ignorés (pays progressistes d’Amérique latine) ? Entendre autre chose que des discours formatés à la gloire de l’austérité.
Pourquoi Lorànt Deutsch pose problème | Déjà-vu 1,5 million d’exemplaires de Métronome, 50 000 pour Hexagone (soit un très beau succès d’édition déjà) : Lorànt Deutsch occupe une place de choix dans le petit monde de la vulgarisation historique, dans la lignée d’un Alain Decaux. Mais voilà : le comédien, connu pour sa diction à haute vélocité, écrit de la même façon : très vite[1]. Trop vite. N’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon, reprocher à un jeu comme Assassin’s Creed Unity de commettre des erreurs historiques est une sottise : les scénaristes d’Ubisoft n’ont jamais prétendu faire œuvre d’historien. Le cadre temporel – la Révolution française – est un décor comme la France de Louis XIII est le décor des Trois Mousquetaires. Le cas de Lorànt Deutsch est différent : le comédien et ses éditeurs présentent bien Hexagone ou Métronome comme des ouvrages historiques. Toute la question est donc de savoir ce qu’on attend d’un livre de ce genre. De quoi justifier à mon sens une certaine prudence dans l’affirmation. Kamoulox. Les critiques ?
Télé-révision Ignorer l’inculture dispensée par la télévision est une gageure. Elle s’insinue partout, jusque dans les universités. En deux jours, j’ai été questionné par deux fois par des étudiants sur l’intervention d’Eric Zemmour dans l’émission « On n’est pas couché » du 4 octobre 2014 : « Pétain a-t-il sauvé des juifs ? « Informer, disaient-ils », La valise diplomatique, 16 octobre 2014.L’opinion d’un idéologue d’extrême droite sur une question d’histoire ne méritant aucune attention, la question de circonstance est ailleurs : comment la télévision peut-elle faire un pont d’or à un ignorant ? Il y eut beaucoup de protestations après la diffusion de cet épisode, à en juger par l’émission suivante lors de laquelle son présentateur, Laurent Ruquier, lut quelques tweets de soutien, avant d’être corrigé par son chroniqueur Aymeric Caron : il y en avait aussi dans l’autre sens. Il semble que l’on puisse justifier les invitations les plus saugrenues au prétexte du « buzz ». Inévitables suites.
Christophe Colomb post mortem Christophe Colomb connaît aux États-Unis, par les temps qui courent, des moments qui sont plus que difficiles. Dans le parc mémorial de Yonkers, ville limitrophe de New York, une sculpture à son effigie a été récemment décapitée, en parodie de mise à mort, une autre a été vandalisée dans le Queens en août 2017, et à Baltimore un obélisque élevé en l'honneur du découvreur de l'Amérique, en 1792, lors du tricentenaire de son arrivée aux îles Bahamas, a subi le même sort. Les ouvrages, les proclamations, les chansons qui le peignent comme un monstre se sont multipliés là-bas depuis trois décennies. Il n'est guère de figure, parmi les personnages qui dominent de haut l'histoire des hommes, concrètement et symboliquement, il n'est guère de figure qui ait connu des avatars aussi violemment contrastés. À d'autres époques, Christophe Colomb a été célébré comme une incarnation sans pareille du courage, de la lucidité, de la prémonition. Archives sonores - Générique de fin : chanson "Terre !"
Dans l'enseignement secondaire : pour l’aggiornamento de l'histoire-géographie En ce qui concerne les propositions de la Commission 1, nos collègues J. Portes et A. Reynaud nous ont déjà dit, dans ce bulletin, (juin 67), qu'ils déploraient son « complexe d'infériorité ». En fait, dans le contexte actuel, une commission purement « ministérielle », même élargie, ne peut faire œuvre novatrice, parce que ses objectifs de réflexion sont fixés par le cadre traditionnel, et que ne se trouvent mis en cause ni les « matières » d'enseignement, telles que le xixe siècle les a engendrées, ni les structures de travail de nos écoles napoléono-ferrystes. — à une définition globale et moderne de la finalité éducative de notre école ; — à une réflexion sur la nature et la place de l'histoire-géographie- instruction civique, dans le grand éventail, en plein développement des sciences humaines. Dans une très récente déclaration (Le Monde, S août 67), M. 1.