Ce soir, devant vous, effrayée autant que stupéfaite de cet honneur que je reçois, je me pose la sempiternelle question de l’écrivain : comment débuter mon propos ? Quelle sera cette phrase, seule capable de me conférer la force de m’exprimer ?
Je la connais cette phrase, brève et irréfutable : « J/’écrirai pour venger ma race ». Je l’ai notée à vingt-deux ans dans mon journal intime, alors modeste étudiante au milieu de jeunes bourgeois de province.
J’imaginais alors, à tort, que pour une personne de basse extraction sociale, écrire des livres signifierait venger sa race, depuis longtemps opprimée. /
J’ai toujours adoré lire, et ce goût était encouragé par une mère elle-même amatrice de romans. J’aimais d’autant plus les livres qu’ils étaient mal vus par mon institution religieuse.
J’ai choisi une formation littéraire par identification aux romans qui m’extirpaient à mon insu / de mon monde. Selon moi, écrire devait permettre de sublimer la réalité.
Ce qui a pu me faire obstacle, ce ne sont pas les échecs, mais ma condition de femme au sein d’une société patriarcale, de mère, de professeure, avec toutes les responsabilités qui lui incombent.
D’où le / style d’écriture que j’ai adopté : révolté et vengeur, violent et familier, celui des dominés qui se rebellent.
(219 mots)