Au départ réservé aux seuls étudiants, Erasmus+ est désormais ouvert aux apprentis, enseignants, formateurs... © Pierre DESTRADE
Publié le 19/03/2022 à 09h00 - Article du JDC
Symbole de la récente construction européenne, le programme Erasmus s’est incarné dans bien des voyages, rencontres, coups de cœur et coups de blues. Partir de chez soi pour s’engager dans l’inconnu, valise à la main et jeunesse en poche, voilà qui n’a rien d’anodin.
L’objectif premier des séjours Erasmus réside en général dans le perfectionnement d’une langue. Au lycée Raoul-Follereau, à Nevers, Lydie Tréchot, référente mobilité Erasmus, et Valérie Laclé, directrice déléguée des formations professionnelles et technologiques, appuient les étudiants en BTS SAM (support à l’action managériale) dans l’organisation de leur stage, qu’ils peuvent effectuer en Europe.
Moi, je leur dis : “baragouinez” ! C’est en parlant qu’on progresse !
Quatre élèves partent ainsi tous les ans, notamment à Almeria, en Espagne, dans le cadre d’un “partenariat officieux”. « La validation de leur diplôme est conditionnée à une immersion dans un contexte international. On les incite à partir à l’étranger. En pratiquant la langue, ils font tomber les barrières, ils osent davantage », explique Lydie Tréchot, elle-même professeure d’espagnol. « Ils s’affranchissent du regard de l’autre. Moi, je leur dis : “baragouinez” ! C’est en parlant qu’on progresse ! », sourit-elle.
Une expérience à valoriser, par ailleurs, sur le CV. « Oui, entre deux profils identiques, ça peut faire la différence », argumente-t-elle. « Et ça montre la capacité à s’adapter », renchérit Valérie Laclé. « Ces séjours sont toujours bien encadrés, mais ça force à l’autonomie. »
Une vision que partage Isabelle Perasso-Biard, chargée de mission mobilité internationale à la ville de Nevers. « C’est le meilleur moyen de se découvrir soi-même. En sortant de son environnement, on décale son regard. C’est ainsi que l’on précise ce qui fait notre culture, notre identité, notre personnalité. Ce qui fait qu’on est européen, français, bourguignon ou même morvandiau ! »
Isabelle Perasso-Biard a facilité les missions en volontariat de soixante-quatre jeunes en dix ans, dans dix-sept pays différents, avec un dispositif aujourd’hui relié au programme Erasmus + via le Corps européen de solidarité. Elle décèle, chez les volontaires, une « motivation intérieure » qui dépasse la curiosité linguistique. « Certains s’émancipent ainsi de la cellule familiale, se prouvent qu’ils sont capables de faire par eux-mêmes. Ils constatent qu’il n’y a jamais d’échec, que tout permet de rebondir. »
Dans un contexte politique secoué par les questions identitaires, sans parler de la guerre en Ukraine, l’ouverture à l’autre paraît plus que jamais nécessaire. En témoigne Isabelle Perasso-Biard, qui œuvre auprès des jeunes « avec l’espoir qu’avec la généralisation et la multiplication de ces engagements, le monde devienne meilleur… »
Samantha May, anglo-nivernaise
En 2014, c’est à Poitiers que la jeune britannique originaire de Bristol effectue son premier long séjour en France, avec Erasmus. Une expérience, de son aveu, assez peu séduisante, mais Samantha entend bien donner une seconde chance à l’Hexagone : elle deviendra ainsi assistante de langues à Nevers, en 2017. Erasmus aura donc été le premier barreau de l’échelle de l’acclimatation gravie jusqu’à pouvoir affirmer, aujourd’hui, qu’elle « n’est plus si britannique que ça... »
Et de louer, cinq ans après son installation, le « côté râleur » des Français, qu’elle affectionne presque autant que la complexité de l’administration. Ce franchissement des limites de sa zone de confort aura, en tout cas, eu des répercussions sur le développement de sa personnalité : « je sais que ça demande des efforts d’oser parler, j’ai donc plus d’empathie. Je suis aussi plus patiente et ouverte d’esprit ! »
Enzo Sire, un lycéen en Finlande
En 2019, alors qu’il effectue sa dernière année de bac pro mécanique automobile au centre scolaire Notre-Dame, à Nevers, Enzo donne un coup d’accélérateur à son cursus. C’est sur la neige des routes de Tampere, en Finlande, qu’il affine sa connaissance des voitures, grâce à un stage d’un mois décroché chez Volvo. Erasmus ne s’adresse plus qu’aux seuls étudiants : à présent, stagiaires, apprentis, enseignants ou... lycéens peuvent y participer.
Pour Enzo, aujourd’hui en BTS, cette trentaine de jours dans la fraîcheur du nord de l’Europe a été bénéfique : « on apprend à se débrouiller, à prendre des initiatives. » Le jeune homme a freiné quelque peu sur l’apprentissage du finnois, mais le voyage a fait démarrer, sur les chapeaux de roue, son appétence pour le lointain. « J’adore le Japon. Et la compétition automobile. » De nouvelles frontières à franchir, tous feux allumés.
Emilie Nicolle, une "vétérane"
Au début des années 90, une étudiante en Langues Étrangères Appliquées ayant grandi à l’ombre du clocher d’un petit village du Cher fourre dans son sac à dos ses rêves d’aventure et son désir d’ailleurs : direction l’Allemagne, à Bochum, puis Coventry, en Angleterre. Deux départs financés par Erasmus : « mes parents n’auraient pas pu m’aider. Là, je n’avais pas plus de dépenses que si j’étais restée dans mon pays. »
Sans internet, sans téléphone portable, la jeune femme déniche son stage outre-Manche chez Rover à coups de pièces et d’heures passées dans les cabines téléphoniques. Elle découvre également les joies de la “coloc” : « ça ne se faisait pas trop en France, à l’époque. En Angleterre, les loyers étaient très chers. » Trente ans après, la voici formatrice en anglais, à Nevers : « Erasmus a vraiment déterminé toute ma vie. »
Axel Auclair
« Au départ, dans ma famille, ils étaient un peu réticents. Ensuite, ils m’ont poussé à partir ! » À 19 ans, Axel, étudiant en BTS au lycée Raoul-Follereau, vient de terminer deux mois de stage à Almeria, en Espagne, avec un camarade de promo. « Je suis assistant de l’administration, dans un lycée. J’aime vraiment ce pays, le temps qu’il fait, la joie de vivre : je souhaite signer pour un semestre entier, quand je ferai ma licence pro ! » Un “Erasmussien” visiblement convaincu.
Vanessa Louis-Sidney et son "girl gang"
Un van, des copines et la route vers Manchester. Ce pourrait être le début d’un film, ce fut celui du séjour Erasmus de Vanessa Louis-Sidney en 1993. Il a fallu dégoter sur place le logement de la troupe : « on a acheté le journal et appelé les petites annonces... on avait la trouille de parler en anglais. On tirait à la courte paille pour savoir qui allait s’y coller. La vraie vie, c’est différent des dissertations. »
À Manchester, les Français sont bien vus : la (bonne) faute à Cantona, dieu vivant du football. En fond sonore, la musique électro, qui grattait les murs de la boîte de l’Haçienda. Tout n’était pas que fête : « c’était studieux, on avait quand même la crainte de rater l’année. » Erasmus a façonné chez elle sa curiosité, qu’elle transmet à son fils, à qui elle enjoint de partir : « pour qu’il ne se fasse pas raconter le monde, mais qu’il s’en fasse sa propre idée. »
Amélie Perceau, de Madrid à Prague
Partir. Et repartir. Après un séjour Erasmus en Espagne pour valider sa première année de master, en 2013-2014, Amélie enchaîne avec un stage au Québec. Désormais heureuse expat’, cette Nivernaise travaille dans l’évènementiel, à Prague. « Sans Erasmus, ça m’aurait fait peur. » Pour elle, qui exerce en anglais au quotidien, le programme s'est révélé un véritable atout pour améliorer ses langues.
De plus, selon Amélie, le dispositif « lève l’autocensure. » Et elle ne manque pas de mettre en avant toutes les amitiés nées de son expérience européenne : « c’est comme quand tu pars en colo... tu t’attaches très vite. L'expérience Erasmus a été pour moi une réussite, et c'est en grande partie grâce aux gens que j'ai rencontrés. »
Texte : Alice Forges
Photos : Christophe Masson et Pierre Destrade