Christian Laval : « Penser la révolution » Entretien inédit pour le site de Ballast Depuis des années, Christian Laval questionne, bien souvent aux cotés du philosophe Pierre Dardot, le néolibéralisme depuis une perspective post-marxiste.
Ils ont publié en 2009 un travail sur la mutation néolibérale de notre représentation de l’individu abstrait et rationnel, La Nouvelle raison du monde, et, cinq ans plus tard, un essai qui revisite la notion de révolution à la lumière du concept de « commun ». Dans le brouhaha de la cafétéria de la Bibliothèque nationale, à Paris, il revient pour nous sur la genèse de leurs réflexions et sur leurs filiations intellectuelles, comme sur le sens plus global de son travail en cours sur la socialisation de la propriété : l’occasion de rappeler l’importance de « l’auto-institution » de la société, c’est-à-dire du cadre que se donne — et se construit — un peuple pour organiser son affranchissement.
Comment en êtes-vous arrivé à redéfinir complètement le concept de néolibéralisme ? Deux choses. Le sens “commun”, une alternative au capitalisme ? Partager les idées, les voitures, les connaissances, les maisons.
Le “commun” inspire citoyens, philosophes ou juristes… Le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval nous éclairent sur cette aspiration grandissante. Christian Laval : « Penser la révolution » Pratiques, les cahiers de la médecine utopique. ?
Christian Laval, vous êtes l’auteur, avec Pierre Dardot, d’un essai paru récemment aux éditions de la Découverte et intitulé : La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néo-libérale Pouvez-vous d’abord nous expliquer en quelques mots la genèse de votre essai : comment se replace-t-il au sein de vos travaux et ceux de Pierre Dardot ? Quid de la filiation revendiquée avec Michel.
Foucault ? Pierre Dardot et Christian Laval (copyright Louis Monier) CL . Nous avons commencé par un travail sur certaines formes qui se veulent les plus novatrices du marxisme contemporain, en premier lieu les travaux de Michael Hardt et Toni Negri (Empire, Multitudes). Michel Foucault : une formidable capacité d’anticipation, sur le virage que représentait le néolibéralisme au regard des formes classiques du libéralisme ?
CL . Qu’est-ce à dire ? Un sujet est amené à se conduire de lui-même comme ce que le discours social attend qu’il fasse ? CL .. Aux racines des communs. Dans votre réflexion, vous vous attardez sur les traditions historiques à partir desquelles s’est construite la notion de « communs ».
Comment inscrivez-vous ces filiations au cœur de la cité – au sens de la polis grecque –, c’est-à-dire d’une communauté de citoyens indépendante et souveraine ? « Commun » est un terme qui vient du latin, mais ses significations sont finalement encore plus lointaines et peuvent en particulier être rattachées à la coproduction du « vivre ensemble ». Le linguiste et historien Émile Benveniste, dans son vocabulaire des institutions indo-européennes, faisait grand cas de l’expression cum-munus d’où vient le mot « commun ». Munus signifie, dans le domaine politique, l’obligation, la charge, le don, cum-munus désignant ainsi la co‑obligation qui nous engage les uns vis-à-vis des autres du fait de vivre ensemble dans la même cité.
On peut aussi citer Aristote, pour qui « vivre ensemble », c’est agir ensemble. Du communisme aux communs ? Les communs (« commons » en anglais) sont indéniablement au cœur de nombreuses revendications : les communs globaux (climat, diversité biologique etc.), les communs de la connaissance (internet, wikipédia etc.) etc.
Mais que sont les communs, exactement ? Une hypothèse couramment avancée (par exemple par Naomi Klein [1]) est que cette problématique réactive de manière plus générale la question des « enclosures », cette privatisation des communs au 19ème siècle décrite par Karl Polanyi (1944) comme étant l’un des actes inauguraux du capitalisme. L’analogie est-elle exacte ? Et, du côté des partisans des « communs », avons-nous alors un au-delà possible, tant du « cosmocapitalisme » que des communismes étatiques ? Telles sont les principales questions que Pierre Dardot et Christian Laval proposent de traiter dans ce livre, dont le fil de conducteur est de tenter de refonder le concept de commun (p. 17).
Les apports de cet ouvrage sont donc nombreux. Comment sortir de la nuit néolibérale. Commun. Recensé : Pierre Dardot et Christian Laval, Commun.
Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2014. 593 p., 25 €. Pierre Dardot et Christian Laval ont deux ambitions : d’une part, ils cherchent à livrer un état des lieux des pratiques et de la réflexion sur les communs ; d’autre part, ils entendent développer une théorie originale « du commun », faisant de celui-ci une sorte de méta-principe politique orientant les actions de transformation sociale en cours et à venir.
Dans ce livre riche et documenté, le « principe du commun » se donne ainsi comme une revendication de démocratie radicale, à laquelle on peut adresser quelques questions que j’essaie de détailler ci-après en m’appuyant notamment sur l’exemple des logiciels libres. Un grand mouvement social opposé au capitalisme Les auteurs abordent plusieurs mouvements sociaux contemporains comme l’esquisse d’une alternative au capitalisme. Un principe politique d’autogouvernement Une norme d’inappropriabilité.