Elon Musk, le désinformateur désinformé. On peut devenir le maître des clés, et user de celles-ci pour s’enfermer à double tour dans une geôle étriquée. C’est le paradoxe d’Elon Musk, devenu propriétaire et patron de Twitter (devenu X en juillet) le 27 octobre 2022, et qui, un an plus tard, semble à tous points de vue prisonnier mental de la plate-forme. Bien sûr, lorsque le capricieux patron de Tesla Motors et de SpaceX met la main sur le réseau social à l’oiseau bleu, l’un n’est pas un génie hermétique aux rumeurs, ni l’autre un havre de discussions mesurées. Twitter est déjà connu pour son chaos, et celui qui a été l’homme le plus riche du monde pour son usage immodéré de la plate-forme − à tel point qu’après avoir été accusé de manipuler le cours boursier de Tesla par des posts inconséquents, il s’était engagé en 2019, auprès du gendarme de Wall Street, à ne plus tweeter sur son entreprise.
Mais pour Elon Musk, le faux n’est pas qu’une manière de gérer ses conflits. Antivax : les « V_V », ou le récit d’une dérive conspirationniste contre la politique sanitaire. Ils sont technicien de maintenance, commerciale, patronne de PME, enseignante, ingénieure, agriculteur, artiste peintre ; âgés de 30 à 50 ans, ils vivaient dans l’Est, le Bassin parisien, à Montpellier ou en Bretagne, des vies jusque-là sans histoires. Aucun n’avait eu affaire à la police. Dix membres d’un groupuscule baptisé « V_V » sont jugés devant le tribunal correctionnel de Paris, à partir de lundi 2 octobre, pour avoir monté, en 2021, des raids coordonnés de harcèlement en ligne contre deux élues et un médecin, fustigés et traités de « nazis » dans des centaines de messages pour leur soutien à la politique vaccinale menée contre la pandémie de Covid-19.
L’histoire des « V_V » est celle de la dérive d’une minorité convaincue, à force de lectures et d’échanges sur les réseaux sociaux, que la pandémie de Covid-19 n’était qu’une cabale menée par un cénacle de puissants pour inoculer des poisons à la population et instaurer un contrôle totalitaire des opinions. Punaises de lit : comment cette bestiole est devenue un centre d’attention médiatique. Parmi les stars incontestables de cette rentrée médiatique, entre Laurent Ruquier et Marie Portolano, s’est glissée une bestiole inattendue à ce niveau de notoriété : la punaise de lit.
Le 19 septembre, une certaine Dana Del Rey publie sur X (anciennement Twitter) deux photos prises dans la voiture 6 de son TGV, en gare de Paris-Est. Sur le velours bleu et blanc d’un fauteuil, on distingue une bête de petite taille, à carapace sombre. « Seraient-ce des punaises de lit dans vos trains @SNCFVoyageurs @SNCFConnect ????? », s’interroge la cliente horrifiée, dont le tweet a été vu 4,6 millions de fois en deux jours.
Alors que les internautes, autoproclamés entomologistes, s’écharpent pour savoir s’il s’agit ou non de l’espèce susnommée, Dana Del Rey se retrouve mise en accusation. Pour certains, elle n’apporte pas assez de preuves scientifiques de ce qu’elle avance : « J’étais chargée, j’avais mon chaton avec moi, se défend-elle. J’ai vu ça sur le siège “famille”. Ecrire et réaliser une vidéo à l'aide d'un smartphone. Conseils pour se protéger de l'épidémie de "fake news". Une inoculation psychologique pour contrer les « fake news » Le 31 août, l’astronaute Thomas Pesquet a dû longuement expliquer sur Twitter que « bien sûr que oui, l’humain est allé sur la Lune pendant les missions Apollo », après que ses propos ont été déformés par des négateurs de la conquête par l’homme de notre satellite.
Enième illustration du fait que la désinformation en ligne continue d’être un problème sociétal majeur. Et ce, malgré la multiplication dans les médias de services de debunkers [de l’anglais debunk, « discréditer »], des journalistes qui, à l’image des Décodeurs du Monde, cherchent à vérifier des affirmations suspectées d’être fallacieuses. Comment trouver d’autres parades à ces « fake news » qui massivement se répandent sur les réseaux sociaux et, par ricochet, dans la société et les foyers ? Lire aussi : Désinformation en ligne : l’UE adopte un nouveau code de conduite pour les plates-formes et réseaux sociaux.
Désinformation russe : « Peu importe que le faux soit grossier, pourvu qu’il capte l’attention » Les corps de centaines de civils gisant dans les rues de Boutcha, en Ukraine, venaient à peine d’être découverts, le 2 avril, lorsque des premiers contenus ont commencé à circuler sur Internet pour nier la réalité du massacre. En quelques jours ont afflué quantité de théories alambiquées, basées sur un détail microscopique d’un reportage, sur une vidéo de tournage de film détourné, comme si tout était bon pour semer le doute, le plus vite possible. Une opération répétée à chaque nouvelle séquence, témoignant de ce qui peut être qualifié de crime de guerre. Stephanie Lamy est cofondatrice de l’association danaides.org, qui développe des outils numériques d’aide aux civils en zones de conflit, et autrice d’Agora toxica, la société incivile à l’heure d’Internet (Editions du détour, 2022).
Elle analyse le fonctionnement de la propagande russe et de ses relais dans la société civile. Certaines des intox circulant sur Boutcha reposent sur l’idée que les morts seraient des mannequins. Que recouvre l’expression « nouvel ordre mondial » et pourquoi suscite-t-elle tant de fantasmes ? « Nouvel ordre mondial » : ces trois mots, prononcés lundi 21 mars par Joe Biden dans un discours, ont provoqué l’émoi dans plusieurs communautés conspirationnistes en ligne, qui y voient la confirmation d’une très ancienne théorie du complot. « C’est le moment où les choses changent. Il va y avoir un nouvel ordre mondial et nous devons le diriger », a déclaré le président des Etats-Unis devant un parterre de chefs d’entreprise. « Ça fait des mois qu’on vous le dit, ouvrez les yeux sur cette bande organisée qui nous prend en otage !
Ajoutez à ça Biden qui déclare ouvertement que le #nouvelordremondial c’est maintenant… Mais qu’est-ce qu’il vous faut de plus pour vous soulever b****l ! », s’insurge un internaute. « Biden nous annonce aujourd’hui que le “Nouvel Ordre Mondial” commence ! Je pensais que c’était une théorie du complot d’extrême droite, ça ? En tout cas, va falloir qu’on se batte contre tous ces pourris, ils sont démasqués et ils ne se cachent plus !
», commente un autre. Laboratoires américains en Ukraine : aux origines d’une théorie du complot. Derrière l’agressivité des chars russes, la menace invisible de savants diaboliques américains ? C’est la rumeur qu’agite la Russie depuis le début de l’invasion en Ukraine : dans des laboratoires secrets répartis sur l’ancienne Rous de Kiev, les Etats-Unis développeraient des armes biologiques, au mépris de leur interdiction en 1972. « Les accusations russes sont absurdes », s’agace le Pentagone, qui y voit une manière pour Moscou de « tenter de justifier ses propres atrocités en Ukraine ». L’idée que des centres de recherche sur les pathogènes servent à préparer une attaque contre le voisin russe relève d’une « interprétation absurde », confirme la Fondation pour la recherche scientifique, dans une étude publiée le 17 mars.
Cette théorie extravagante n’est toutefois pas nouvelle. Elle est née dans le creuset de l’après-guerre froide, sur fond de reconstruction, de méfiance et de malentendus. Mais les attentats à l’anthrax de 2001 ressuscitent les craintes. Aux origines du « convoi de la liberté » au Canada, une coalition hétéroclite de mouvances complotistes. Le drapeau blanc à la feuille d’érable rouge brandi en étendard à Paris, Wellington ou Canberra, par tous les opposants aux mesures sanitaires liées au Covid-19 : nombre de Canadiens constatent avec effarement que le vent de révolte qui a soufflé en premier dans leur pays a menacé de tempête d’autres coins du monde. Ce sont quelques mouvances ultraconservatrices d’extrême droite inspirées de l’alt-right américaine qui ont lancé le mouvement des camionneurs. Réunis au sein de Canada Unity, ses organisateurs ont réclamé, dans un « protocole d’accord » publié dès le début du siège d’Ottawa le 29 janvier, la « destitution du gouvernement » du premier ministre Justin Trudeau.
Mais comment expliquer que quelques centaines d’individus aient rencontré un tel écho et obtenu le soutien d’une part non négligeable de la population, pourtant vaccinée à près de 90 % ? Les politistes Martin Geoffroy, Frédéric Boily et Frédérick Nadeau ont cherché les ingrédients qui ont permis une telle alchimie. Le « grand remplacement », généalogie d’un complotisme caméléon. La pensée du « grand remplacement », propagée principalement par l’écrivain Renaud Camus, figure des milieux identitaires, et le candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle Eric Zemmour, ne repose pas simplement sur un délire démographique.
Elle s’appuie sur tout un système de représentations, où s’entremêlent des sources clairement identifiables et un imaginaire plus diffus, constitué au fil des siècles et constamment revisité. Le « grand remplacement » ne laisse pas toujours deviner son âge, tant il adopte des formules modernes ou des exemples contemporains. C’est par exemple le cas chez Renaud Camus. La même « modernité » est à l’œuvre dans le livre publié par Eric Zemmour pour lancer sa candidature à la présidentielle, La France n’a pas dit son dernier mot (Rubempré, 2021). Il s’appuie notamment sur l’exemple du football pour tenter de prouver la pseudo-transformation démographique de la France. Gérald Bronner, un expert du complotisme au cœur des controverses. L’homme pressé attend depuis quarante minutes, mais, s’il est impatient, il n’en laisse rien paraître, buvant tranquillement son verre de rosé à la terrasse d’un café du centre de Paris, affable comme à son habitude.
C’est encore l’été, Gérald Bronner, sociologue très médiatisé, très critiqué (il y voit un lien de causalité), nous rassure sur notre retard : il est « une bonne pâte ». D’ailleurs, s’il y a bien un malentendu à son sujet, c’est sur le fait qu’il serait une personnalité polémique. « Je n’ai pas de joie malsaine à susciter la controverse, assure-t-il. Il n’y a pas plus politiquement correct que moi, je n’ai aucune idée scandaleuse. » En matière de polémique, il s’apprête pourtant à franchir un nouveau palier.
Quelques jours plus tôt, tout début septembre, il reçoit un appel de Sylvain Guérin, conseiller opinion du président Macron : « Comment ça va ? Il vous reste 90% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés. « A l’égard des sciences et techniques, il faut plutôt parler de désenchantement que de défiance » Michel Dubois est directeur de recherche CNRS au groupe d’étude des méthodes de l’analyse sociologique de Sorbonne Université. A l’occasion du colloque international de culture scientifique et technique « Science & You », dont l’université de Lorraine a pris l’initiative et qui se tient à Metz du 16 au 19 novembre, il commente les résultats de la huitième édition de l’enquête nationale « Les Français et la science ».
Pourquoi cette enquête ? En matière d’attitude du public à l’égard des sciences et techniques, la France possède un petit trésor sous la forme d’une suite ininterrompue de données sur un demi-siècle. Avec Pauline Hervois (université de Lorraine), Martin Bauer (London School of Economics and Political Science), nous avons dirigé cette huitième édition qui a été financée par l’université de Lorraine.
Notre travail a consisté à prolonger les enquêtes antérieures tout en tenant compte des événements les plus récents, en particulier la pandémie. « La pandémie pose la question fondamentale de la place du doute en science » Tribune. Alerte générale dans les milieux académiques, éducatifs et politiques qui en appellent à un contrôle de l’information afin d’éclairer le public, victime de la désinformation, manipulé par les algorithmes des réseaux sociaux et prisonnier de ses biais cognitifs.
En septembre, Emmanuel Macron confie au sociologue des croyances Gérald Bronner la présidence d’une commission « Les Lumières à l’ère du numérique », chargée d’enquêter sur les « fake news », et dont le rapport est attendu ces jours-ci. Il s’agit de sauver la science et la rationalité, fondements de la démocratie contemporaine, que les algorithmes des réseaux sociaux mettraient en péril. D’où la mobilisation contre le « populisme scientifique » ou l’« infodémie », à grand renfort de sondages alarmistes.
La division du monde en deux camps bien tranchés, arbitrés par un rapport à la vérité univoque, est problématique à plusieurs égards. D’abord, elle ne résiste pas à un examen rigoureux. « Il faut impérativement cesser de trouver des excuses au complotisme » Directeur du site Conspiracy Watch (L’Observatoire du conspirationnisme) qu’il a créé en 2007, membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean Jaurès, Rudy Reichstadt est l’auteur de L’Opium des imbéciles (Grasset, 2019), un essai sur la question complotiste.
Le succès massif et foudroyant du pseudo-documentaire « Hold-up », concentré d’irrationalité et de conspirationnisme, vous a-t-il surpris ? Pas vraiment. C’est un produit qui répond à une demande sociale de conspirationnisme dont il est difficile de ne pas voir qu’elle est croissante. Avec quelques-uns, nous nous époumonons à le dire depuis des années : l’imaginaire du complot influence nos représentations collectives, plus qu’il ne l’a jamais fait dans notre histoire récente. Les théories du complot ne sont pas nouvelles. Mais la technologie leur a offert une chance historique, en démultipliant leurs possibilités de se diffuser à grande échelle. Vérification : Les contre-vérités du documentaire « Hold-up » Comment les théories du complot forment et déforment l’imaginaire depuis des siècles. Le terme de « complotisme » n’est entré dans le dictionnaire qu’en 2016, mais le poison qu’il distille n’a pas d’âge.
C’est la principale leçon du colloque « Théories du complot : mythes et mythologies à travers les siècles », qui s’est tenu les 18 et 19 novembre au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris. Durant deux jours, il a réuni une quinzaine de chercheurs, principalement des historiens, pour redéployer l’histoire des récits paranoïaques à partir de leurs périodes et de thèmes d’expertise. Il en ressort que si les complots à proprement parler, qu’il s’agisse des hétéries (sociétés secrètes athéniennes) ou des conjurations comme celle qu’a organisée le sénateur romain Catilina pour tenter de s’emparer de Rome en l’an – 63, sont au moins aussi anciens que l’Antiquité, les théories du complot les ont de tout temps accompagnés.
Ces récits ont connu des périodes de poussées aiguës, lors des disettes et des épidémies. « Facebook Files » : ce que le réseau social a appris du mouvement conspirationniste QAnon. Ce n’est qu’une expérience isolée, mais ses conclusions en disent déjà long. Le 1er juillet 2019, un employé de Facebook envoie à ses collègues un message détaillant comment un profil test d’utilisatrice conservatrice américaine, créé pour l’occasion quelques jours plus tôt, s’est vu rapidement recommander des comptes de plus en plus polarisants. Une semaine après la création du profil, l’algorithme lui propose ainsi de suivre des comptes promouvant QAnon, cette théorie complotiste très malléable qui voudrait que Donald Trump constitue le dernier rempart face à une cabale maléfique de satanistes et de pédophiles, composée notamment de figures progressistes. « Même si j’ai commencé en ne suivant que quelques pages conservatrices vérifiées et de meilleure qualité, en moins de trois semaines, le fil d’actualités de ce compte-test n’était plus qu’un flot constant de contenus de mauvaise qualité, trompeurs et polarisants », écrit l’ingénieur en conclusion.
Fabien Roussel : « Rendre inéligibles pour cinq ans les individus condamnés pour incitation à la haine » Complotisme : « En souhaitant acquérir un domaine dans le Lot, One Nation monte à un nouvel échelon, celui du rassemblement “physique” » Exposes reseaux. Irène Frachon : « La composition de la “commission Bronner” sur le complotisme laisse perplexe » Baromètre Vague 12 bis 1 VERSION FINALE (pour mise sur le site CEVIPOF)
11-Septembre : les huit principales théories du complot décortiquées. « Magnet challenge » : comment expliquer que des aimants collent à la peau (avec ou sans vaccin) « On avait raison » : chez les complotistes, l’art du triomphalisme sélectif. Chassés de YouTube, Facebook et Twitter, les réseaux complotistes se réorganisent. « On avait raison » : chez les complotistes, l’art du triomphalisme sélectif. Enlèvement de Mia : la dérive d’une mère complotiste. Antivaccins : « On ne peut pas balayer les sceptiques en les réduisant au complotisme » « On est très en colère contre soi-même » : la difficile épreuve de l’après-complotisme.
« Sur les réseaux sociaux comme dans la réalité, on observe une radicalisation du débat » Démonisme, antimondialisme, antisémitisme… Aux racines littéraires du complotisme. Sommes-nous tous complotistes ? (ft. le Sense of Wonder) #LesDécodeurs. Nos conseils pour identifier les discours complotistes et ne pas tomber dans leurs pièges. « Je faisais partie des esprits supérieurs » : pourquoi le complotisme séduit autant. La Macronie veut intensifier sa lutte contre le complotisme. Chassés de YouTube, Facebook et Twitter, les réseaux complotistes se réorganisent.