Untitled. Cp nuit debout. Pour la république sociale, par Frédéric Lordon (Le Monde diplomatique, mars 2016) C’est bien l’esprit de Lampedusa (1) qui plane sur l’époque : tout changer pour que rien ne change.
Et encore, « tout changer »… A peine feindre. A moins, ce qui serait presque pire, qu’ils ne soient sincères : on ne peut pas exclure en effet que les protagonistes de la « primaire à gauche » soient convaincus de produire une innovation politique radicale, alors qu’ils bafouillent la langue morte de la Ve République. Le comble de l’engluement, c’est bien sûr de ne plus être capable de penser au-delà du monde où l’on est englué. Présidentialisation forcenée, partis spectraux, campagnes lunaires, vote utile, voilà la prison mentale que les initiateurs de la « primaire à gauche » prennent pour la Grande Evasion. Et pour conduire à quoi ? Le cadavre que, contre toute raison, ses propres nécessiteux s’efforcent de prolonger, c’est celui de la « social-démocratie », entrée, en France comme ailleurs dans le monde, dans sa phase de décomposition terminale. Nuit debout : voici comment tout a commencé. Bien avant Nuit Debout, elle flottait dans l’air, cette envie de se retrouver, de réconcilier les « rouges » et les « verts ». « Chez les militants, on était chacun dans notre coin, un peu triste, et on avait besoin de se rassembler pour retrouver la patate », raconte Fahima Laidoudi, militante du collectif Réseaux Intervention Réflexion Quartiers Populaires.
De son côté, Fred se souvient d’avoir assisté à un long ciné-débat sur la convergence des luttes, au Festival La Belle Rouge qu’organise chaque été, à la fin du mois de juillet, la compagnie de théâtre Jolie Môme : « La même envie revenait avec insistance dans la salle : imaginer un mouvement social capable de fédérer largement ». Le film ? Merci Patron, diffusé en avant-première pour la première.
Il va servir d’étincelle : avec ses projections qui se multiplient à partir de novembre 2015 « Je voulais faire un film d’émotion, raconte le réalisateur, François Ruffin, qui anime aussi le journal Fakir. Et ça marche. Et maintenant ? Nous ne revendiquons rien, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 29 mars 2016) Au point où nous en sommes, il faut être épais pour ne pas voir qu’il en va dans les mouvements sociaux actuels de bien plus qu’une loi et ses barèmes d’indemnités.
Mais l’épaisseur, en tout cas en ce sens, c’est bien ce qui manque le moins à ceux qui nous gouvernent et à leurs commentateurs embarqués. Aussi tout ce petit monde continue-t-il de s’agiter comme un théâtre d’ombres, et à jouer une comédie chaque jour plus absurde, les uns affairés à peser au trébuchet leurs concessions cosmétiques, les autres leurs gains dérisoires, les troisièmes à faire l’éloge du raisonnable ou à préparer gravement « la primaire ». Et tous se demandent quelle est la meilleure couleur pour repeindre la clôture du jardinet qu’ils continuent d’entretenir sur les flancs du volcan déjà secoué de grondements. Lire aussi Sophie Béroud, « Imposture de la démocratie d’entreprise », Le Monde diplomatique, avril 2016. Et pas seulement celle-là. Comment durer, et... se muscler : La nuit debout réfléchit. Le 40 mars, tournant pour la Nuit debout ?
Après un peu plus d’une semaine d’occupation de la place de la République, à Paris, le mouvement a réfléchi samedi 9 avril à la manière de durer... et de se muscler. L’idée d’une grève générale (lancée par l'économiste Frédéric Lordon) a été très applaudie. En marge de la manifestation contre la loi travail puis, plus tard dans la soirée, lors d’une manifestation improvisée jusqu’au domicile de Manuel Valls, un parfum d’émeute flottait dans les rues de Paris.
Pas de leaders, mais quelques figures de gauche particulièrement écoutées. Samedi 9 mars, la place de la République vivait sa dixième Nuit debout. Frédéric Lordon, mais aussi François Ruffin (du journal Fakir) ou Jean-Baptiste Eyraud (de l'associtation Droit au logement) : quelle place réserver sur la place de la République à ces figures de gauche qui, s'ils se refusent à "représenter" le mouvement, l'ont inspiré et soutenu à ses débuts ?