Johann Chapoutot: «Merkel parle à des adultes, Macron à des enfants» (6) Après cette histoire-là. Quelles sont les leçons, non pas de l’Histoire, mais de cette histoire-là ?
On peut déjà en tirer, non seulement parce que le confinement suscite la réflexion, mais aussi parce que ces leçons étaient déjà largement connues. 1) Le salaire que l’on perçoit est indépendant de l’utilité sociale de l’activité, voire inversement proportionnel à celle-ci. L’exemple le plus évident est celui du trader (parasitaire et, au mieux, inutile mais, le plus souvent, néfaste) qui roule sur l’or pour spéculer sur la dette des Etats et la destruction de la planète pendant qu’un praticien hospitalier (médecin) touche 3 000 euros net et une infirmière ou un infirmier 1 400 euros net en début de carrière. Mais il y en a d’autres ! Prenez la porte-parole du gouvernement. 2) Deuxième leçon : toute entité (individu incompétent, pouvoir aux abois, etc.) qui perd pied se réfugie dans la grandiloquence, de préférence belliqueuse. 3) Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Les influences nazies du management moderne. Le management, du nazisme à la mondialisation, ou l’art de produire le consentement et l’illusion d’autonomie chez des sujets aliénés.
S’il ne dresse pas un réquisitoire contre le management et s’il ne dit pas non plus qu’il s’agit d’une invention du IIIe Reich, Johann Chapoutot, notre invité, souligne une continuité entre les techniques d’organisation du régime nazi et celles que l’on retrouve aujourd’hui au sein de l’entreprise, en atteste la condamnation récente de l’entreprise France Télécom et de ses trois ex-dirigeants pour "harcèlement moral institutionnel".
Une organisation optimale de la force du travail Car, montre-t-il, l’Allemagne du IIIème Reich est le lieu d’une économie complexe où des ingénieurs, juristes, intellectuels formés par les universités de la république de Weimar et courtisés par les nazis réfléchissent à l’organisation optimale de la force du travail. Les managers nazis reprochent aux Français d’être trop centralisateurs et trop autoritaires. Extraits sonores : Johann Chapoutot : "Le nazisme, une multitude de centres de pouvoir qui sont autant de petites féodalités" Dans son livre Libres d'obéir : le management, du nazisme à la RFA, qui vient de paraître chez Gallimard, l'historien Johann Chapoutot souligne une continuité entre les techniques d’organisation du régime nazi et celles que l’on retrouve aujourd’hui au sein de l’entreprise.
Extraits de son entretien dans "la Grande table idées". Raphaël Bourgois : Associer nazisme et management est un mouvement de pensée assez contre-intuitif. Dans un premier temps, on ne voit pas très bien le rapport. Johann Chapoutot : En effet. Et même quand on le fait, on se dit que si les nazis se sont intéressés au management, cela devait forcément être sous un angle vertical, autoritaire et oppressif.
A travers la figure de Reinhard Höhn notamment, sur laquelle vous avez particulièrement travaillé, vous montrez que de hauts fonctionnaires nazis ont réfléchi très tôt aux questions d’organisation du travail. Libres dâobéir - NRF Essais. YouTube. Johann Chapoutot : « Le nazisme, par son imaginaire de la concurrence et de la performance, participe de notre modernité » Auteur de nombreux ouvrages sur le national-socialisme traduits en une dizaine de langues, récompensé en 2015 par le prix Yad Vashem international, Johann Chapoutot a publié en janvier 2020 Libres d’obéir – le management, du nazisme à aujourd’hui (Gallimard).
Il y détaille les théories et pratiques managériales qui avaient cours sous le IIIème Reich, ainsi que les continuités que l’on peut observer avec celles qui se sont développées sous la RFA. Deux ans après notre premier entretien pour Le Vent Se Lève, nous avons souhaité l’interroger sur son dernier ouvrage. Par Martin Saintemarie, Eugène Favier Baron et Vincent Ortiz, retranscrit par Dany Meyniel. LVSL – À travers le cas de l’ancien officier SS Reinhard Höhn et de son académie où il a enseigné le management, vous mettez l’accent sur la manière dont le nazisme participe de notre modernité. Qu’est-ce que les réactions à votre ouvrage nous apprennent sur la place de la notion de « modernité » dans l’espace médiatique ?