Gilles Kepel : « Le dispositif législatif n’est plus opérant face à un djihadisme d’atmosphère » Tribune.
Il y a trente et un ans, à l’automne 1989, éclatait la première « affaire » islamiste dans l’école de la République. Trois jeunes filles s’étaient présentées voilées en cours au collège Gabriel-Havez de Creil, dans l’Oise. L’organisation des Frères musulmans avait envoyé ses représentants pour négocier avec le principal, qui les avait éconduits lorsqu’il se rendit compte qu’ils l’enregistraient à son insu. Elle venait de marquer symboliquement une importante rupture, en cette année où l’affaire Rushdie avait déchaîné les passions outre-Manche et où Khomeyni, en prononçant sa fatwa du 14 février condamnant à mort Salman Rushdie pour blasphème, avait, du même coup de force, inclus l’Europe – et les autres territoires de la planète où vivaient des musulmans – dans le « domaine de l’islam », c’est-à-dire toute juridiction où s’applique une fatwa.
Assassinat de Samuel Paty : pour Edgar Morin, « le plus dangereux est que deux France se dissocient et s’opposent » Directeur de recherche émérite au CNRS, récompensé par trente-huit doctorats honoris causa dans le monde entier, le sociologue et philosophe Edgar Morin, né en 1921, a notamment écrit La Méthode (Seuil, 1977-2004) et Mes souvenirs viennent à ma rencontre (Fayard, 2019).
Son dernier ouvrage, Changeons de voie. Les leçons du coronavirus (avec la collaboration de Sabah Abouessalam, Denoël, 160 p., 14,90 euros), donne des clés pour le « monde d’après ». Dans l’entretien qu’il accorde au Monde, il analyse les nouvelles fractures idéologiques qui traversent notre pays. Dans la France de 2020, cinq ans après « Charlie Hebdo » et le Bataclan, on tue encore au nom d’un dieu. L’assassinat de Samuel Paty et la tuerie de Nice sont-ils le signe que l’histoire est en train de se répéter ? L’Observatoire de la laïcité appelle à « faire bloc contre l’islamisme radical »
Pour « faire bloc contre l’islamisme radical », il faut « garder son sang-froid ».
Telle est la recommandation formulée d’emblée dans la synthèse du 7e rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité depuis son installation en 2013, publié jeudi 17 décembre. Alors que plusieurs conceptions continuent de s’affronter sur le terrain de la laïcité, et avant la discussion parlementaire du projet de loi « confortant les principes républicains », l’institution présidée par Jean-Louis Bianco et composée d’une vingtaine d’experts et parlementaires appelle à « un débat serein ».
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Aux racines de la laïcité, cette passion très française à l’histoire tourmentée Ce 7e rapport récapitule le diagnostic porté de longue date par l’Observatoire sur la situation et le bilan de son action. Sur le premier point, il énumère les « replis sur soi » et la « réaffirmation des marqueurs identitaires religieux » dans « toutes les religions ».
« Le gouvernement affirme renforcer la laïcité, alors qu’il porte atteinte à la séparation des religions et de l’Etat » Entretien.
L’historien de la laïcité, ancien conseiller pour la formation et la citoyenneté au cabinet de Ségolène Royal en 1997 et auteur de La loi de 1905 n’aura pas lieu (Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2019) et d’Improbables amours. Emile Combes et la princesse carmélite (Editions de la Libre Pensée) réagit à la présentation, le 9 décembre en conseil des ministres, du projet de loi « confortant le respect des principes républicains ». Le projet du gouvernement a subi des modifications après consultation du Conseil d’Etat. Quelle lecture faites-vous du texte tel qu’il a été présenté en conseil des ministres ? Dans ses discours de Mulhouse [le 18 février] et des Mureaux [le 2 octobre], Emmanuel Macron cherchait un équilibre entre le séparatisme produit par la République et le radicalisme religieux.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Rééquilibrer le projet de loi « séparatismes » pour éviter d’« hystériser » le débat : le pari du gouvernement. Cinq idées reçues sur la laïcité. Rarement un mot aura fait l’objet de tant d’interprétations, de conceptions, de discussions et de passions.
Décryptage. « La laïcité, c’est les Lumières et la Révolution » Les acteurs de la IIIe République qui élaborent la laïcité se réfèrent constamment à un certain XVIIIe siècle, antiabsolutiste et antiobscurantiste. Cependant, vastes et complexes, les « Lumières » sont loin d’être toujours antireligieuses. Fervent anticlérical, Voltaire réprouve pourtant l’athéisme ; et le chrétien Rousseau met la religion au centre de sa cité démocratique.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Aux racines de la laïcité, cette passion très française à l’histoire tourmentée Quant à la Révolution, elle proclame, en 1789, « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses […] » [Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, art. 10] et institue l’état civil, le mariage civil et le divorce, acquis laïques fondateurs.