Philippe Descola : « Nous sommes devenus des virus pour la planète » Anthropologue, spécialiste des Jivaro achuar, en Amazonie équatorienne (Les Lances du crépuscule, Plon, 1994), Philippe Descola est professeur au Collège de France et titulaire de la chaire d’anthropologie de la nature.
Disciple de Claude Lévi-Strauss, médaille d’or du CNRS (en 2012) pour l’ensemble de ses travaux, Philippe Descola développe une anthropologie comparative des rapports entre humains et non-humains qui a révolutionné à la fois le paysage des sciences humaines et la réflexion sur les enjeux écologiques de notre temps, dont témoignent notamment Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005) et La Composition des mondes (entretiens avec Pierre Charbonnier, Flammarion, 2014). En quoi cette pandémie mondiale est-elle un « fait social total », comme disait Marcel Mauss, l’un des fondateurs de l’anthropologie ? Quels sont-ils ? Article réservé à nos abonnés Lire aussi David Graeber : « Les “bullshit jobs” se sont multipliés de façon exponentielle ces dernières décennies » La médecine comme religion. Une question. Après la déclaration de l’état d’urgence pour risque sanitaire le 31 janvier, les décrets-lois des 8 et 9 mars 2020 ont institué en Italie un régime d’exception justifié par le Covid-19 qui restreint drastiquement les libertés individuelles.
Considérant le désastre qui frappe son pays, Giorgio Agamben énonce les effets terribles de mesures politiques sans précédent, amenant un basculement historique que la peur de la mort semble occulter. Ils ne lâcheront rien, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 5 mai 2020) Quatre hypothèses sur la situation économique, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 28 avril 2020) Comme tout ce qu’il y a à dire sur la situation économique présente, et ses éventuelles issues, tiendrait difficilement en un seul texte, l’idée d’une sorte de (mini) série a semblé une possibilité, depuis la formulation de quelques hypothèses simples jusqu’à l’esquisse de voies de sortie, en passant par des essais de clarification du « problème » comme il se pose (ou comme on pourrait le poser).
Pour l’instant on a en vue trois volets. On verra bien, en cours de route, s’il en vient d’autres, ou pas, et à quel rythme. Hypothèse 1 : Ce qui vient est énorme. Jürgen Habermas : « Dans cette crise, il nous faut agir dans le savoir explicite de notre non-savoir » Né en 1929, Jürgen Habermas est considéré comme l’un des philosophes les plus importants de notre temps.
Représentant de la deuxième génération de l’école de Francfort, il vient de publier en Allemagne une immense histoire de la philosophie en deux volumes (à paraître aux éditions Gallimard en 2022). Européen convaincu, auteur notamment de La Constitution de l’Europe (Gallimard, 2012) et de L’Avenir de la nature humaine. Edgar Morin : « Cette crise nous pousse à nous interroger sur notre mode de vie, sur nos vrais besoins masqués dans les aliénations du quotidien » Né en 1921, ancien résistant, sociologue et philosophe, penseur transdisciplinaire et indiscipliné, docteur honoris causa de trente-quatre universités à travers le monde, Edgar Morin est, depuis le 17 mars, confiné dans son appartement montpelliérain en compagnie de sa femme, la sociologue Sabah Abouessalam.
Lire aussi Coronavirus : « la baisse des besoins en matériel et en ressources humaines en réanimation se confirme » en France C’est depuis la rue Jean-Jacques Rousseau, où il réside, que l’auteur de La Voie (2011) et de Terre-Patrie (1993), qui a récemment publié Les souvenirs viennent à ma rencontre (Fayard, 2019), ouvrage de plus de 700 pages au sein duquel l’intellectuel se remémore avec profondeur les histoires, rencontres et « aimantations » les plus fortes de son existence, redéfinit un nouveau contrat social, se livre à quelques confessions et analyse une crise globale qui le « stimule énormément ». Covid-19 : "Nous ne sommes pas accoutumés au recueillement", selon le philosophe Nicolas Grimaldi.
Alors que les Français vivent confinés chez eux depuis ce mardi 17 mars, comment tenir psychologiquement, philosophiquement ?
Et que révèle cette situation de notre rapport aux autres et à nous-mêmes ? Pour répondre à ces interrogations, Florence Sturm est allée chercher l'éclairage du philosophe Nicolas Grimaldi. Cet ancien professeur à la Sorbonne a consacré la plupart de ses ouvrages à élucider nos expériences de la subjectivité. Il interroge notre rapport à la crise sanitaire actuelle et au confinement, avec le regard très particulier de celui qui vit lui-même "comme un trappiste cloîtré", dans l’ancien sémaphore de Socoa sur la Côte Basque.
Il y réside depuis 1968, plus d’un demi-siècle donc : un salon au milieu de l’océan Atlantique et la mer "qui, très régulièrement, toutes les six heures, accompagne le plein champ… une sorte de chorale qui enfle lentement". Que vous inspire cette situation ? Cette situation a un côté anachronique. Marcel Gauchet : “C’est un réveil du politique” « Nous sommes en guerre », a déclaré le président de la République en annonçant des mesures de confinement plus strictes, la mobilisation de l’armée, ainsi que la fermeture des frontières extérieures de l’Europe.
Selon vous, sommes-nous vraiment en état de guerre ? Marcel Gauchet : Nous ne sommes pas en état de guerre ou alors cela ressemble à une « drôle de guerre ». Tristan Garcia : “Au lieu de nous unir, l’épidémie accentue ce qui nous différencie” En cette période d’épidémie et de confinement, le thème de l’union nationale est souvent brandi par les autorités.
Pensez-vous que cette expérience nous rassemble ou qu’au contraire elle nous divise ? “La grande passion de l’époque n’est pas du côté de l’universel, elle est du côté du particulier” « L’épidémie est un rabot contre l’orgueil transhumaniste » Le philosophe Pierre Zaoui, professeur à l’Université de Paris (anciennement Paris 7), a écrit il y a tout juste dix ans La Traversée des Catastrophes (Seuil, 2010).
Dans ce livre, il interrogeait notre rapport à la mort, à la vie, à la maladie et, plus largement, aux épreuves auxquelles nous devons tous nous confronter. Une « philosophie pour le meilleur et pour le pire » précieuse à l'heure où il faut faire face à l'épidémie de Covid-19. Usbek & Rica : « Vivre c'est tomber malade », peut-on lire dans votre ouvrage La Traversée des Catastrophes. Que signifie cette formule ? Pierre Zaoui : Dire que « vivre c’est tomber malade » peut s’entendre en plusieurs sens. « La Terre peut se débarrasser de nous avec la plus petite de ses créatures » Philosophe, Emanuele Coccia est maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et l’un des intellectuels les plus iconoclastes de son époque.
Auteur, aux éditions Payot et Rivages, des ouvrages La Vie sensible (2010), Le Bien dans les choses (2013), La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange (2016), il vient de publier Métamorphoses (Payot et Rivages, 236 pages, 18 euros), ouvrage qui rappelle comment les espèces vivantes – notamment les virus et les hommes – sont reliées entre elles, car « nous sommes le papillon de cette énorme chenille qu’est notre Terre », écrit-il. Il analyse ici les ressorts de cette crise sanitaire mondiale et explique pourquoi, même si elle nécessaire, « l’injonction à rester à la maison est paradoxale et dangereuse ».
Coronavirus : « L’épidémie doit nous conduire à habiter autrement le monde » Corine Pelluchon est professeure de philosophie à l’université Gustave-Eiffel (Loire-Atlantique) et membre du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme. Elle a notamment écrit Ethique de la considération (Seuil, 2018) et publie bientôt Réparons le monde. Humains, animaux, nature (Rivages poche, 288 pages, 8,80 euros). Achille Mbembe : “L’‘homme occidental blanc’ ne peut plus faire comme si la mort ne le concernait pas” L’Afrique semble pour le moment relativement épargnée par la pandémie. Quelles ont été les mesures prises en Afrique du Sud, où vous vivez ? Achille Mbembe : Le gouvernement sud-africain a tout de suite compris le caractère de cet événement et n’a cessé de répéter que le virus menace les nations dans leur existence même.
Michaël Fœssel : “Les politiques ont la tentation de faire de la crise un champ d’expérimentation autoritaire” Vous avez écrit un essai intitulé Après la fin du monde. Critique de la raison apocalyptique. Barbara Stiegler : « La crise due au coronavirus reflète la vision néolibérale de la santé publique » Manon Garcia : “Les hommes n’ont plus d’excuses” André Comte-Sponville/Francis Wolff. Préférons-nous la santé à la liberté ? L’épidémie mondiale comme catastrophe intime - Ép. 2/4 - Les philosophes face à la maladie.
En 1943, le philosophe Georges Canguilhem affirme : “La santé, c’est le luxe de tomber malade et de pouvoir s’en relever”. La santé et la maladie seraient-elles deux phases d’une seule et même réalité ? Byung-Chul Han et le retour de l’ennemi. Frédéric Gros/Pierre-Henri Tavoillot. La désobéissance civile peut-elle être légitime face à l’urgence sanitaire ? Frédéric Gros Professeur de pensée politique à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences-Po) et chercheur au Cevipof. Spécialiste de Michel Foucault, il s'est penché sur la demande de sécurité dans les démocraties contemporaines avec Le Principe Sécurité (Gallimard, 2012), ainsi que sur les mouvements de résistance avec Désobéir (Albin Michel, 2017).
Il écrit aussi des romans, dont son dernier livre Le Guérisseur des Lumières (Albin Michel, 2019) consacré à Franz-Anton Messner, le promoteur du magnétisme dans l’Europe du XVIIIe siècle.